Tyrannosaurus Rex et T.Rex
Il y eut un chanteur magique autrefois. Il passa comme un météore dans
les cieux élevés de la vieille Angleterre. Sa guitare ne pleurait jamais
gentiment. Il ne s'intéressait qu'aux filles des marécages, aux feux follets.
Tourmenté par le fantôme de l’électricité. Une sorte de visionnaire, perdu dans
des mondes oniriques. Un émule de Cochran, de Lennon et de Blake. Il nous a
laissé les textes les plus obscurs de toute la scène psyché. On cherche encore
leur sens dans le Gaffiot... A ses côtés, le grand William semble limpide,
Mallarmé clair comme de l'eau de roche. Mais demandez donc à Shakespeare et à
Mallarmé de jouer du Boogie Woogie...
My People Were Fair…
A ses débuts, on disait de Bolan qu'il chantait comme Sonny Bono, de
Sonny and Cher, les créateurs d'« I Got You, Babe », en1965. Bien vite, on l’a appelé dans la presse
« John the Lamb », à cause de sa voix chevrotante, puis « the
national elf », à cause de son imaginaire. Sa voix avait un vibrato
caractéristique, très accentué. On le trouvait soit énervant, soit génial. Il
ne laissait personne indifférent. Le vibrato est une légère ondulation du son
produite sur les instruments de musique (cordes ou vents) ou avec la voix. Ce
vibrato, certains, mal intentionnés, le prenaient pour un bêlement. D’où ce
sobriquet ridicule de « Jean l’agneau », qui n’a pas d’équivalent en français. Julien Clerc
bêle lui aussi, mais sa voix est plus virile. Même John Lennon a peut-être
imité Bolan dans « Cold Turkey ». Puis on a méchamment appelé Bolan en fin de carrière
« England's Porky Pixie », « Le Lutin Porcin de l'Angleterre »... Sobriquet tardif pour quelqu’un qui portait déjà
un nom d’emprunt, un mélange de « Bob » et de « Dylan ».
Le psychédélisme est souvent un surréalisme tardif, une réhabilitation
totale de l’imaginaire et de ses prestiges. Bolan fut sûrement le grand poète
de son époque.
« Desdemona », avec le groupe John's Clidren (Lennon ?) fut censuré
en 1967 : « Lift up your skirt anf fly », « Soulève ta jupe et envole-toi ». On le voit, la censure de l'époque ne rigolait pas
avec les vagues allusions sexuelles. La chanson fut interdite à la BBC , comme le « Arnold
Layne »
de Barrett la même année.
Petites annonces
C'est par une petite annonce que Marc recruta Steve Took, son premier
percussionniste, en juillet 67. Au début, ils jouaient dans le métro, à l'angle
de Hyde Park, à Marble Arch Station. On les vit aussi au pied de la statue de
Peter Pan. Sous les frondaisons des grands arbres, ils s’asseyaient en tailleur
au bord de la Serpentine ,
la petite rivière qui traverse capricieusement le Park. C’était un des lieux de
prédilection de Bolan. Il venait souvent y rêver, y écrire.
Took (Steve Peregrin)
Né Steve Porter, le 28 Juillet 1949, Took avait alors 18 ans. Il garda
son prénom et prit le nom d’un personnage de Tolkien. Peregrin, c’est le surnom
d’un Hobbit, un compagnon de Frodo. Steve Took savait jouer des percussions et
des tablas, à la manière des musiciens de Ravi Shankar. Il se mit aux bongos. « Love
You Too » sur Revolver, et
« Within You, Without You » furent des chansons déterminantes.
Même sur les démos, sa frappe est spéciale et son jeu original. Mais il
avait un problème avec les drogues dures, et bientôt il ne fut plus que l’ombre
de lui-même. « Tyrannosaurus Rex was Marc Feld and a spectral figure
called S. Took ». Il
ne participa qu’aux trois premiers albums. Ils se séparèrent suite à une série
de mésententes, de rapports conflictuels. Steve eût voulu écrire et composer
mais Marc ne le lui permit pas. Dans « tyrannosaurus » il y a « tyran »... Took essaya d’entamer une carrière solo, mais ne
connut aucun succès. Il décéda en 1980, âgé de 31 ans seulement, non pas des
suites d'une overdose comme on le croit généralement (même s'il avait de gros
problèmes de santé et d'addiction), mais en s'étranglant avec un noyau de
cerise. Il semble que Bolan ne l'ait pas considéré comme un batteur
extraordinaire. En revanche, Marc appréciait énormément ses qualités vocales,
son sens des harmonies, la justesse de son chant. Ses performances en tant que
percussionniste sont généralement sous-estimées.
Tony Visconti
Brillant producteur de Bolan, il contribua lui aussi au son de
Tyrannosaurus Rex. Visconti fut le George Martin de Bolan et de Bowie, une
sorte de Mentor.
Bolan, vrai hâbleur, lors de sa rencontre avec Visconti, prétendit que
Lennon lui avait déjà proposé un contrat, un pont d'or, pour enregistrer dans
les studios d'Abbey Road. Comme on le voit, il y allait au culot.
Tony Visconti, Autobiographie.
Bowie, Bolan, et le gamin de Brooklyn.
Dans son autobiographie, Tony Visconti parle de Bolan. C'est un
témoignage de première main. L’auteur évoque sa rencontre avec Tyrannosaurus
Rex. Le duo se produisait au club UFO à Tottenham Court Road. « De vrais
hippies bohèmes qui devaient vivre dans une roulotte, dans un bois aux abords
de Londres ». Visconti relate leur première audition :
« Ils se trimballaient avec le tapis marocain sur lequel ils avaient joué
la veille au soir, un sac rempli de percussions et Marc tenait sa guitare
sèche, sans caisse, à la main. J’ai remarqué qu’il manquait une mécanique à la
corde de sol, et Marc a utilisé une
paire de pinces pour l’accorder ». On y apprend des détails surprenants : les
Beach Boys auraient influencé le son d’Unicorn.
Le nom du groupe
Il vient d’un cauchemar. Marc l’a souvent répété. Il aurait vu, à la fin
d’un rêve, un tyrannosaure se dresser devant lui. Cette image onirique l’aurait
réveillé en sursaut. Tyrannosaurus Rex, c'est le primat du songe sur la vie
réelle. Comme dans le cas de Nerval. C'est la mise en avant de cette figure
monstrueuse, apparue en rêve, le grand saurien du Jurassique, dont il avait
sûrement vu les restes au Natural History Museum de Kensington, l’ossature
reconstituée par quelque Cuvier. Bolan était fasciné par ce monarque
thériomiorphe, issu d'une monarchie antédiluvienne. Un Monstre tout-puissant.
Le plus terrible prédateur qui ait jamais existé…Carnivore et nécrophage.
Indirectement, cette image nous renseigne sur sa volonté de puissance. Warlock of Love, son recueil de poèmes,
se termine par le surgissement de ce « 666 » antédiluvien. Bolan était fasciné par les « bad
dreams »…
Un texte du regretté John Peel figure en lettres gothiques, au verso de
la pochette du premier album :
Tyrannosaurus Rex surgit des feuilles
tristes et effrayantes d’un très ancien été. Durant l’hiver dur et gris, ils
furent soutenus par ceux qui les aimaient. Ils fleurirent avec la venue du
printemps. Les enfants se réjouirent et la terre chanta avec eux. Ce sera un
long et extatique été.
On attendait donc beaucoup de ce duo. Comme si l'album allait faire
ressurgir le fameux Summer of Love, l’été d’avant …Mais « All You
Need Is Love », c’était déjà de l’histoire ancienne.
Un titre à rallonge
Le titre exact, c’est My People Were Fair And Had Flowers In Their
Hair But Now They’re Content To Wear
Stars On Their Brow. Toute
une strophe…Mes gens étaient beaux et ils avaient des fleurs dans leurs
cheveux, mais à présent ils sont satisfaits de porter des étoiles sur leurs
fronts… La mode, certes, était aux titres à rallonge.
L’an d’avant, on avait eu Sgt.
Pepper’s Lonely Hearts Club Band, ou Their Satanic Majesties Request, ce qui
n’était guère commercial. Mais personne n’avait encore osé mettre tout un poème
comme titre d’un LP.
La suite, dans OLD WAVE (camion blanc editions)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire