vendredi 24 juillet 2015

The Beatles : le Coffret Mono : un piège à vieux ?


Le Coffret Mono : un piège à vieux ?

La discographie des Beatles a été éditée en CD dès 1987, mais dans d’assez mauvaises conditions. Un son pauvre, aplati, mat, métallique, sans éclat, sans poli, sans relief, sans pittoresque, sans horizon. Un son clinique et aseptisé comme un hôpital. Or nous nous sommes toujours méfiés des toubibs, sauf du « Doctor Robert » malgré ses étranges prescriptions. Une sono de car de tourisme. Or nous n’avons jamais aimé ni les excursions, ni les voyages organisés, à part « The Magical Mystery Tour », ses paysages vallonnés, sa colline avec son fou, sa « Blue Jay Way ». Un son triste et moche comme une caserne. Or nous avons toujours détesté les militaires, excepté le « Sgt. Pepper »

Au début, les gens se sont précipités : ils allaient enfin pouvoir écouter les Beatles dans des conditions optimales, sans avoir à subir les craquements qui défiguraient les anciens formats. Les antiques LP (vinyles) semblèrent soudain désuets, d’autant plus que les platines et les tourne-disques avaient pris eux aussi un sacré coup de vieux. C’était du matériel déjà suranné, quasi obsolète. La vitesse des 33 tours n’était pas toujours respectée. Souvent les disques tournaient à vingt-neuf, trente ou trente-et-un tours minutes à cause de l’usure du système de rotation. On avait acheté un bon électrophone ou une petite chaîne au moment de l’invasion de la stéréo, en 1967, et le matos s’était essoufflé. Il accusait ses vingt ans d’âge. Les saphirs et les diamants s’étaient usés. Les bras, trop lourds, semblaient de vraies charrues qui écrasaient les vieilles galettes obscures, creusaient à chaque fois un peu plus les sillons. Ceux-ci s’étaient encrassés de mille bruissements, craquements, cliquetis, grattements, fêlures, rayures. Certains pressages étaient si abîmés qu’on ne les gardait qu’à cause de la pochette. C’est bien simple : on n’avait plus une collection de disques, ils étaient inaudibles. On gardait juste des reliques, on possédait une collection d’images, que l’on trimbalait pieusement, de déménagement en déménagement, avec les vieux Pilote, les Charlie, les Starfix, les Ecran fantastique, dont il fallut bien un jour se séparer.

On acheta un lecteur laser. Il fallait qu’un son plus pur abreuve nos sillons. Un son lifté. On préféra définitivement les CD aux LP. On se débarrassa à la va-vite des vieux microsillons que l’on avait tant chéris. On en oublia jusqu’au nom : on les appela des « vinyles »… On les revendit à la sauvette à des aigrefins dans de petites échoppes confidentielles, « rue des boutiques obscures », ou sur les marchés en plein vent. Les marchands les examinaient sous toutes les coutures. Tout en les dépréciant, ils les scrutaient minutieusement, avec des yeux de maquignons ou de lapidaires. Ces disques n’étaient jamais assez bien pour eux. Les pochettes avaient été tagguées, l’état n’en était jamais mint. C’était leur terme pour dire la perfection.… Ces LP, les plus précieux, on les garda comme des reliques. Mais ils nous encombraient. On les relégua au grenier avec les jouets cassés, les chaises bancales, les services dépareillés, les matelas tachés et les vieux instruments de l’orchestre du Sgt. Pepper.

Bientôt, cependant, il fallut déchanter. Le son de certains CD n’était pas si génial qu’on l’avait prétendu. Certains pressages étaient même franchement mauvais. On aurait dit de simples repiquages de trente-trois tours. On se moquait du monde, à la fin ! Il fallait revenir à la matrice originelle : ultime régression…

Les nouveaux CD avaient quelque chose de mesquin. Si le son était net, il était loin d’être satisfaisant. Il paraissait riquiqui, étriqué, comme un vieux jean passé à la machine, à mille lieues des souvenirs que l’on gardait des premiers 45 tours, dont le son était si chaleureux, si réconfortant, tellement ensoleillé, « I’ll Follow The Sun », « Good Day Sunshine », « Here Comes The Sun », « Here comes the Sun King », « When the sun shines they slip into the shade, when the sun shines down »

Un piège à vieux ?

Il aura fallu attendre vingt-deux ans (1987-2009) pour que le catalogue des Beatles soit enfin réédité, gravé dans de bonnes conditions, remasterisé sans être siliconé. Mais les prix des coffrets ont fait peur. De nombreux amateurs ont dû se contenter de rééditions d’albums individuels, ne pouvant investir dans les coffrets. Ils ont dû travailler comme des ânes pour économiser. Bref, ils ont fait l’âne pour avoir du son.

Je me suis acheté le coffret mono en espérant secrètement que c’était un Elixir de Jouvence, mais à 239 euros, ça fait cher le nectar… Par moments, au casque, je supporte de moins en moins la voix de Lennon. Elle semble trop nasillarde. La voix de ce bon vieux John me pose problème. Elle me paraît parfois inaudible alors que c’était une de mes voix préférées quand j’étais jeune. C’était même mon chanteur favori. C’est l’écoute au casque qui l’écrase et la nasalise. Elle passe bien mieux sur les baffles. Lennon a l’air de souffrir d’une laryngite aigue sur « There’s A Place », et il force sa voix sur plein d’autres. Qu’on se le dise : ces rééditions ne sont pas faites pour être écoutées au casque. Ou alors il faut que je change de casque…

Alors qu’est-ce qui m’a fait craquer ? Pourquoi ai-je succombé à la tentation ? L'autre jour, j'ai entendu chez un disquaire « Helter Skelter » et « Long, Long, Long » avec un son incroyable, à tomber... Figé sur place, tétanisé que j’étais. Ma femme me dit que ce sont des pièges à vieux...

Je suis tombé sur quelques perles, « Martha My Dear », « Tomorrow Never Knows », « And Your Bird Can Sing ». Ce ne sont pas toujours celles que l’on attend qui brillent de mille feux. J’espérais beaucoup d’ « Eleanor Rigby ». J’ai été déçu. La restitution n’a pas la magie qu’on pouvait escompter. Ces remasterisations mono s’adressent-elles aux monomanes, aux seuls spécialistes ? Une revue en détail nous le dira.

Please Please Me

« I Saw Her Standing There » retrouve un vrai son pionnier, tel qu’on pouvait l’entendre sur les juke box d’autrefois, ceux du Siècle infernal et de la Foire du Trône. En revanche, les voix sont loin d’être extraordinaires sur « Misery ». Quand on l’écoutait en 45 tours, on n’était pas si difficile. « Ask Me Why » semble émouvant, mais je ne ressens plus l’enchantement que cette chanson me procurait. Le « Love Me Do » de l’album paraît meilleur que celui des Mono Masters. Ce n’est pas la même version. L’ « original single version » figure sur les Masters. « P.S. I Love You » semble toujours la meilleure, la plus au point de leur premier répertoire. Un post-scriptum en forme de déclaration : l’essentiel est dit à la fin de la lettre, l’amoureux se lâche enfin. « Baby It’s You », c’est une de leurs plus belles reprises (David-Williams-Bacharach). On s’y moque du qu’en-dira-t-on. « It doesn’t matter what they say ». « Peu importe ce qu’ils dissent »… Un peu trop d’écho sur les voix de « A Taste Of Honey » (écrite par Scott et Marlow) rend le chant emphatique.

With The Beatles

« All I’ve Got To Do » prend toute sa dimension, confidentielle et sentimentale. Les cordes nylon de la guitare classique sur « Till There Was You » nous surprennent. La voix de Ringo est plus ou moins juste sur « I Wanna Be Your Man ». Heureusement que ses amis viennent l’aider au refrain… La basse sur « Devil In Her Heart » en impose. Lennon chante remarquablement bien sur « Not A Second Time ». L’accompagnement est sobre, parfait.

A Hard Day’s Night (1964)

On remarque la netteté du solo de « A Hard Day’s Night ». Même les hésitations du chant sont touchantes sur « Things We Said Today ». « I’ll Be Back » ne sonne pas toujours juste, hélas.

Beatles For Sale

Sur « Baby’s Black » le son semble écrasé. En revanche, le travail sur le son magnifie « I’ll Follow The Sun », peut-être l’une des plus belles chansons de McCartney. Tant pis si certains la jugent sévèrement un peu mièvre. Elle ne l’est pas. Elle est juste douce et réussie.

L’orgue sur « Mister Moonlight » est une curiosité. « Eight Days A Week » sonne plein d’entrain, avec ses claquements de mains, son rythme alerte. « Words Of Love » reste toujours aussi optimiste. Sur « Every Little Thing », on retrouve à l’identique le son des vinyles 180 grammes, les plus lourds qu’il y ait eu sur le marché. Ils offraient une qualité d’écoute exceptionnelle. On n’avait pas entendu le solo de « I Don’t Want To Spoil The Party » avec autant de clarté depuis longtemps. Quand j'écoute « Everybody’s Trying To Be My Baby », je revois mon frère s’escrimer à en apprendre les accords, à en recopier le solo à l’identique. Là encore, la restitution est parfaite. Beatles For Sale en sort grandi. Ça me rappelle les vacances à la villa « Coréopsis »... Enfin, bref…

Help ! (1965)

La batterie est beaucoup plus présente sur « You’re Gonna To Lose That Girl ». La version stéréo de l’album figure ici en complément, mais elle n’apporte rien de plus.

Rubber Soul (1965)

« Nowhere Man » peut sembler affecté. Une fausse note de Lennon sur « Take your time ». Les remasterisations mettent aussi en valeur ce genre d’erreur.

« Nowhere Man » passe pour un jeu de mots sur « Norwegian man »/« Norway ». D’ailleurs,« Norwegian Wood » ne figure qu’à quelques encablures… « Thank For Yourself » est remarquable. Les chansons de George se sont bonifiées. Une basse magistrale sur « If I Needed Someone ». Macca savait magnifier les chansons de George Harrison.

Revolver (1966)

Sur « Yellow Submarine », peuplé de bruits de machines, « Sky of blue and sea of green » semble une construction désuète, obsolète, qui donne un aspect anachronique au vieux sous-marin. « Le bleu du ciel et le vert de la mer » n’est pas une traduction suffisante. « Le firmament bleu et l’onde verte » me paraîtrait meilleure. Il faut sûrement avoir recours à ce subterfuge, le vocabulaire classique, pour rendre la construction archaïsante qu’utilisent les Beatles, influencés par Donovan. « Yellow Submarine » semble alors un prototype de ce que l’on a appelé par la suite le steampunk, design industriel et inspiration victorienne…

On retrouve le son sale de « She Said, She Said » que la stéréo avait clarifiée mais un peu dénaturée. « And Your Bird Can Sing » a l’air amélioré, là où l’on ne distinguait auparavant qu’une vague bouillie sonore. Les Beatles y inventent le Mur de Guitares. « Tomorrow Never Knows » : on ne l’avait jamais entendu ainsi. On n’avait eu droit qu’à un brouillon. Là, on a enfin une vraie chanson psyché. C’est pour l’instant le titre sur lequel le son me semble avoir été le plus retravaillé. Ce n’est plus du tout le même mixage.

Sgt. Peppers Lonely Hearts Club Band (1967)

« She’s Leaving Home » semble plus rapide sur le mix mono et on entend mieux la seconde voix (mais qui la fait ? John ou George ?). Les tablas passent au premier plan sur « Within You Without You ». Le son en est modernisé. C’était une chanson que l’on sautait souvent quand on écoutait Sgt. Pepper. Trop exotique, elle se fondait mal dans l’ensemble, et paraissait une concession faite à George, à ses goûts excentriques, un peu trop exotiques… Seules les paroles nous en semblaient mystérieuses, pleines d’une sagesse ancienne, séculaire. « We were talking about the space between us all/And the people who hide themselves behind the wall of illusion ».

A la fin de « A Day In The Life », on entend des bruits bizarres que l’on n’avait pas sur la version française en 1967, une sorte de comptine. Même si ce vers n’a rien à voir avec la mort de Marc Bolan qui surviendra dix ans plus tard, « He blew his mind out in a car » a l’air de préfigurer l’accident fatal. Le mix stéréo a la réputation d’être mauvais mais nous ne l’avons jamais entendu. George Martin a toujours recommandé le mix mono.

Magical Mystery Tour

Sur le morceau « Magical Mystery Tour », une basse bien ronde. « Baby You’re a Rich Man » semble bien meilleur en mono qu’en stéréo. L’arrangement en est plus sobre, dépouillé. Ce n’est pas du tout le même mixage. De même, « All You Need Is Love » paraît plus authentique, même si la version stéréo est loin d’être désagréable.

The Beatles (Double album blanc), 1968

J’ai été enchanté par le second CD du double album blanc. Le travail sur le son m’a semblé considérable alors qu’il m’avait paru discret sur d’autres albums : parfois efficace, souvent sans qu’on retienne des différences majeures, un son juste éclairci, élagué, comme on le dirait d’un sous-bois. Mais le Double Album blanc, quelle merveille ! C’est la première fois qu’on entend ces chansons en mono (l’album n’était sorti en France qu’en stéréo). On en redécouvre certaines sous de nouveaux angles, insoupçonnés. « Back in USSR » fait une entrée fracassante. « Glass Onion » y gagne en densité, en intensité. Les Beatles ont besoin de ce son compact. « Obladi Oblada » a plus de punch. La chanson la plus décriée de leur répertoire y prend un relief étonnant, une cohérence que l’on ignorait. En revanche, « The Continuing Story Of Bungalow Bill » a tout d’une pochade, d’un simple intermède. Pardon, je sais bien que certains se sont fait étriper ou lyncher pour moins que ça, il y a des vérités qui ne sont pas bonnes à dire (surtout sur certains forums consacrés aux Fab Four…), mais il semble que « While My Guitar Gently Weeps » sonne parfois un peu faux. « While My Guitar Gently Weeps » est une chanson géniale mais déconcertante : toujours sur la corde raide ou sur la ligne blanche, à la limite de l’erreur.

En revanche, la basse et la guitare sur « Happiness Is A Warm Gun », on ne les avait jamais entendus avec une telle netteté, une telle précision. « Martha My Dear » a retrouvé un son cristallin : la nouvelle mouture a l’air quasi parfait. La guitare sonne bien sur « Rocky Racoon ». « Julia », malgré son immense mélancolie, est puissante et capiteuse comme certains chocolats.

« Birthday » reprend et exploite la formule de « Day Tripper » : un riff bien construit, mais avec plus d’entrain. La basse envahit « Birthday », là où avant on entendait avant tout une gratte électrique. « Helter Skelter » est méconnaissable en mono. C’est un tout autre mixage. « Long, Long, Long » complètement alangui, semble moins démarqué du « Go Now » des Moody Blues que sur la version stéréo. Le son de « Revolution » est fabuleux. Tout est parfaitement en place. En revanche, la voix de Ringo Starr sur « Goodnight » a perdu sa magie. « Honey Pie », c’est l’histoire d’une ouvrière. Elle devient une légende du grand écran (silver screen). McCartney a toujours été attiré par les chansons des années 30 et des forties. Sans être démarquées, « Till There Was You », « For No One », « When I’m Sixty Four » ou encore « Honey Pie » relèvent de cette mouvance. La voix de Lennon chevrote légèrement sur « Cry, Baby, Cry » à la semblance de Marc Bolan et de Donovan, mais le tremblement est nettement moins accentué. Le chevrotement, c’était l’une des tendances de l’époque… Je n’ai pas eu le courage de réécouter « Revolution # 9 », pochade bruitiste, déconcertante.

Mono Masters Disc One

« From Me To You » sonne très compact, mais je garde un meilleur souvenir du 45 tours français. Il y avait aussi le problème de l’enchaînement des titres. « Ask Me Why » suivait « From Me To You », et cette paire semblait parfaite. A présent, les deux titres figurent sur deux albums différents, et ça fait un peu pitié. Un jour, on rééditera les « super 45 tours quatre titres » : ce format paraissait convenir autant aux Beatles que les 33 tours.

« Bad Boy », on ne l’avait jamais entendu ainsi. « I’m Down » paraît moins brouillon.

Mono Masters Disc Two

On a rajouté les quatre morceaux inédits de la B.O. de Yellow Submarine sur les Past Masters 2, rebaptisés Mono Masters pour l’occasion. En revanche, ont disparu corps et biens « The Ballad Of John And Yoko » et d’autres, « Old Brown Shoe » et « Let It Be ». On en ôte, on en rajoute… On avait quinze titres, on en a seize. « Rain » gagne en netteté. Ce n’était peut-être pas souhaitable. On dirait du Oasis…Tout le répertoire des frères Gallagher paraît sorti de cette chanson. Mais depuis, Oasis s’est perdu dans le désert.

Le piano sur « Lady Madonna » est un régal… « The Inner Light » semble beaucoup moins énervante, malgré son hindouisme affiché. Même si ce n’est pas en stéréo, les instruments (le vibraphone, en particulier) prennent un relief considérable sur « Don’t Let Me Down ». « Hey Jude » est remarquable d’un bout à l’autre. C’est peut-être leur chef-d’œuvre.

Inutile de chercher Abbey Road et l’album Let It Be dans ce coffret mono, vous ne les trouverez pas. Ces albums-là n’existent qu’en stéréo. Nous n’en parlerons donc pas ici. « The Long and Winding Road » anticipe la dark and desert highway de l’ « Hotel California » des Eagles.

A qui s’adresse donc ce coffret ? Avant tout aux esthètes, aux mélomanes. A ceux qui cherchent à écouter les Beatles dans les meilleures conditions possibles. Bref, à ceux qui ont le goût difficile ? « Ne soyons pas si délicats / Les plus accommodants, ce sont les plus habiles » affirmait le bon fabuliste. Mais en matière de son, peut-on être « accommodant » ?… Qui voudrait encore écouter les Beatles dans la gravure de 1987 ?

Alors, ce coffret mono, un piège à vieux ? Non, un lifting réussi. « Take a sad song and make it better »
(la suite de ce très long chapitre dans Old Wave, cold wave, 962 pages au camion blanc).
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire