Interview de Mathieu
Lecoutre et de Goulven Oiry à propos des barbouillés chez Molière (en 2014).
Mathieu Lecoutre,
Molière a parlé de l'ivresse ?
Vingt pièces sur les
trente-six impliquent le vin et l'enivrement.
Mais ses prédécesseurs
mettaient plus largement en scène l'ivrognerie, - sauf Corneille.
Qui boit chez Molière ?
Le goût de la boisson
est au premier chef attribué aux valets. Gros René dans Sganarelle ou le Cocu imaginaire, Mascarille dans L'Etourdi, Alain dans L'Ecole des Femmes, Sosie dans Amphitryon, les garçons tailleurs du Bourgeois Gentilhomme, Scapin, le
Sganarelle du Festin de Pierre, sont
présentés comme de fiers buveurs.
Harpagon fait de
l'ivresse un apanage déplorable des domestiques.
Les bourgeois n'aiment
pas le vin chez Molière ?
Si.
La consommation de vin
n'est pas réservée aux laquais. L'amour de la bouteille est prêté à des
bourgeois, à des hommes d'armes (soudards ou soulards ?), ou encore aux
médecins bouffons (le chœur du Malade
imaginaire).
Les paysans (George
Dandin et Pierrot) succombent eux aussi à l'attrait du jus de la treille, et le
gosier altéré du Limousin Pourceaugnac semble suffire à justifier son nom.
Les aristocrates ne
boivent pas chez Molière ?
Molière s'interdit
d'évoquer l'enivrement des nobles, à l'inverse par exemple de la Princesse
Palatine ou de Saint-Simon. "Il reste deux heures à table et
s'enivre" note la Princesse Palatine à propos de son fils Philippe
d'Orléans. Chez Saint-Simon, la princesse de Conti tance publiquement la
duchesse de Chartres en l'accusant d'être un "sac à vin", reprenant
par la même occasion l'expression d'Angélique dans La Jalousie du Barbouillé.
Molière ne peut se
permettre de faire allusion au penchant de certains fameux courtisans pour le
vin – n'aurait-il pas risqué de heurter de plein fouet son public ?
Les gentilshommes qu'il
met en scène demeurent d'une sobriété remarquable. Ils boivent fort peu, et ne
le font qu'avec distinction. Don Juan ne songe à lever le verre que face à la
statue du Commandeur, en un geste de provocation.
Sa satire est partiale
et limitée ?
La peinture de l'excès
de boisson ne va donc pas sans une certaine morgue aristocratique et citadine.
Il y a des
plaisanteries scabreuses dans son théâtre ?
Des implications
sociologiques : "Je m'étais amusé dans votre cour à expulser le superflu
de la boisson" dit Mascarille dans Le
Médecin malgré lui.
Il y a aussi des
ivresses au sens figuré du terme ?
Dans Les Femmes savantes, Clitandre moque les
pédants prompts "à se bien barbouiller de Grec et de Latin", et
"qui de leur savoir paraissent toujours ivres." L'ivresse en vient
ici à désigner la cuistrerie.
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