lundi 6 juillet 2015

Interview de Mathieu Lecoutre et de Goulven Oiry à propos des barbouillés chez Molière (en 2014).



Interview de Mathieu Lecoutre et de Goulven Oiry à propos des barbouillés chez Molière (en 2014).

Mathieu Lecoutre, Molière a parlé de l'ivresse ?

Vingt pièces sur les trente-six impliquent le vin et l'enivrement.

Mais ses prédécesseurs mettaient plus largement en scène l'ivrognerie, - sauf Corneille.

Qui boit chez Molière ?

Le goût de la boisson est au premier chef attribué aux valets. Gros René dans Sganarelle ou le Cocu imaginaire, Mascarille dans L'Etourdi, Alain dans L'Ecole des Femmes, Sosie dans Amphitryon, les garçons tailleurs du Bourgeois Gentilhomme, Scapin, le Sganarelle du Festin de Pierre, sont présentés comme de fiers buveurs.

Harpagon fait de l'ivresse un apanage déplorable des domestiques.

Les bourgeois n'aiment pas le vin chez Molière ?

Si.

La consommation de vin n'est pas réservée aux laquais. L'amour de la bouteille est prêté à des bourgeois, à des hommes d'armes (soudards ou soulards ?), ou encore aux médecins bouffons (le chœur du Malade imaginaire).

Les paysans (George Dandin et Pierrot) succombent eux aussi à l'attrait du jus de la treille, et le gosier altéré du Limousin Pourceaugnac semble suffire  à justifier son nom.

Les aristocrates ne boivent pas chez Molière ?

Molière s'interdit d'évoquer l'enivrement des nobles, à l'inverse par exemple de la Princesse Palatine ou de Saint-Simon. "Il reste deux heures à table et s'enivre" note la Princesse Palatine à propos de son fils Philippe d'Orléans. Chez Saint-Simon, la princesse de Conti tance publiquement la duchesse de Chartres en l'accusant d'être un "sac à vin", reprenant par la même occasion l'expression d'Angélique dans La Jalousie du Barbouillé.

Molière ne peut se permettre de faire allusion au penchant de certains fameux courtisans pour le vin – n'aurait-il pas risqué de heurter de plein fouet son public ?

Les gentilshommes qu'il met en scène demeurent d'une sobriété remarquable. Ils boivent fort peu, et ne le font qu'avec distinction. Don Juan ne songe à lever le verre que face à la statue du Commandeur, en un geste de provocation.

Sa satire est partiale et limitée ?

La peinture de l'excès de boisson ne va donc pas sans une certaine morgue aristocratique et citadine.

Il y a des plaisanteries scabreuses dans son théâtre ?

Des implications sociologiques : "Je m'étais amusé dans votre cour à expulser le superflu de la boisson" dit Mascarille dans Le Médecin malgré lui.

Il y a aussi des ivresses au sens figuré du terme ?

Dans Les Femmes savantes, Clitandre moque les pédants prompts "à se bien barbouiller de Grec et de Latin", et "qui de leur savoir paraissent toujours ivres." L'ivresse en vient ici à désigner la cuistrerie.
 

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