vendredi 26 octobre 2012

Cole et Led Zepp


Richard Cole, avec Richard Trubo.

Led Zeppelin. Stairway to Heaven.

(Camion Blanc)

Led Zeppelin, c’est le groupe qui a inventé le hard rock, si l’on veut bien oublier “You Really Got Me” des Kinks et certains titres des Stones et des Yardbirds, déjà lourds comme du plomb.

Un parfum de soufre (hydrogène sulfureux ?) enveloppe ce groupe anglais des années 70, à cause des soi-disant accointances de Jimmy Page avec une magie pas toujours très blanche. Leur plus beau titre de gloire reste « Stairway to Heaven », une mélodie composée à la campagne, au fin fond du Pays de Galles, près d’une vieille cheminée. « Sans doute plus que les autres chansons, écrit Richard Cole, « Stairway to Heaven » est considérée comme un classique, et c’est toujours l’une des chansons les plus demandées sur les radios rock dans le monde. En 1991, vingt ans après la création de cette chanson autour d’un feu de bois à Headley Grange, les magazines nationaux comme Esquire l’ont célébrée et analysée, faisant d’elle l’une des plus grands chansons de son temps, un standard qui avait autant de sens pour cette génération que les œuvres de George Gershwin et Cole Porter pour la leur. » Richard Cole a dirigé les tournées du Dirigeable pendant douze ans (rappelons que Jules Verne s’était contenté de cinq semaines en ballon).

Bowie : Space Oddity (les 40 ans).


Le Major Tom a déjà 40 ans. Mais il ne fait pas vraiment son âge ?

En fait, pour être tout à fait honnête, « Space Oddity », on ne l’a connu en France qu’en 1972, pas avant. Il a fallu attendre le formidable succès d’ « Hunky Dory » et de « Ziggy Stardust » pour qu’EMI consente à rééditer et à exporter les premières œuvres de l’extra-terrestre poil de carotte.

« Space Oddity » vient d’être remasterisé avec soin, ce qui permet d’apprécier les guitares sèches et les basses. On a même l’impression que l’album s’est bonifié avec le temps.

En 1969, l'espace semblait plus étrange que la Terre. C’était l’année de Neil Armstrong et de la mission lunaire Apollo 11. Le Major Tom lui aussi avait pris son envol. On se souvient de son dialogue avec les techniciens de la Nasa (« Ground control to Major Tom ») et du compte à rebours annonçant le décollage. Le Major voguait dans sa boîte de conserve, une sorte de « Tin Machine » avant l’heure. Le nouvel Ulysse se déconnectait, et la Terre en perdait le contrôle : « Can you hear me, Major Tom ? » Mais le cosmonaute planait bien loin de toutes ces contigences. On apprendra plus tard que le Major était un junkie. C’est ce que confiera Bowie dans « Ashes To Ashes », le requiem New Wave qui enterrera les années 70.

Dans son autobiographie, le producteur Tony Visconti a parfois la dent dure : « David avait enregistré « Space Oddity » avec Gus Dudgeon. A l’époque, j’ai estimé que c’était un peu facile de capitaliser sur les premiers pas de l’homme sur la Lune, et que la voix de David empruntait trop à John Lennon et Paul Simon. » Rick Wakeman est au clavier (au Mellotron, exactement), et c’est Herbie Flowers qui tient la basse.

« Unwashed And Somewhat Slightly Dazed » nous rappelle qu’en 1969 on était aussi en plein british blues, mais ce long morceau bluesy tombe parfois dans la complaisance. L’ensemble traîne en longueur, et malgré un bon emploi de l’harmonica, ce n’est pas une des plus grandes réussites du petit maître.

Il y avait aussi des envolées sentimentales, « Janine », ou la touchante « Letter to Hermione », une chanson épistolaire pleine de tendresse. David Bowie y parlait de ses rêves et d’un amour désespéré. Hermione en aimait un autre. Le chanteur en était triste, sans aigreur, sans amertume. C’est la vie…

« Cygnet Committee » est un long morceau ambitieux. Cependant, avec quarante ans de recul, il peut sembler anecdotique.

« Occasional Dream » évoque un rêve qui se produit de temps en temps. C’est peut-être un songe obsédant. On n’en saura pas plus.

Il y avait aussi un Bowie Flower Power. La nostalgie hippie affleurait sur “Memory of A Free Festival” : “The Children of the summer’s end / Gathered in the dampened grass, / We played our songs, / And felt the London sky / Resting on our hands, / It was God’s land, / It was ragged and naïve / It was Heaven.” “Enfants de la fin de l’été / Rassemblés dans l’herbe mouillée, / Nous jouions nos chansons, / Et le ciel de Londres / Se posait sur nos mains, / C’était une terre divine, / Nous étions naïfs et couverts de haillons, / C’était le Paradis. » Tony Visconti se souvient de l’enregistrement de quelques tracks pour la BBC : « Memory Of A Free Festival » est une des chansons que nous avons ratées ce soir-là. Bowie a toujours eu du mal à jouer de l’orgue et à chanter le début de ce morceau, mais cette fois-là nous avons touché le fond. » Mais on lit plus loin : « Je considère que la seconde version de « Memory Of A Free Festival » est un disque merveilleux, précurseur de tout ce que j’ai enregistré de bien avec Bowie. » On trouvera cette deuxième mouture sur le disque bonus, avec le synthé Moog programmé par Chris Thomas, Ralph Mace aux claviers, John Cambridge à la batterie et Mick Ronson à la guitare. Plus une troisième tentative, « alternate album mix », produite par Tony Visconti, enregistrée par Ken Scott, Malcolm Toft et Barry Shefield, un mixage inédit un peu bordélique qui dure un peu trop longtemps. Pour ma part je préfère la version de l’album, avec cet orgue au son d’harmonium, et toute cette spontanéité, la joie de ces années-là. David Bowie y révèle à quel point il est génial, comme il a su capter l’Epoque. Le final rappelle « Hey Jude » des Beatles, le Jefferson Airplane dans ses meilleurs moments, ou peut-être « Romany Soup » de Tyrannosaurus Rex, avec cette sorte de mantra occidental indéfiniment répété : « The Sun Machine is coming down, / And we’re gonna have a party », ce qui fait songer aux injonctions SF de Roger Waters sur « S.O.S » en 1968 : « Set The Controls For The Heart Of The Sun. »

« Memory Of A Free Festival », c’est l’hymne hippie par excellence, sans la niaiserie des Flower Pot Men, sans le racolage un peu honteux de « Hair », mais avec toute la Haute Magie de l’Epoque, ce plaisir qu’avaient les gens à vivre ensemble. Pas un Age d’Or mais une période cool, ce qui est bien mieux. Et la voix de Bowie qui revient tout à la fin, naïve et sereine ! « Le Vaisseau spatial du Soleil se couche à l’horizon / Et nous allons faire la fête »… Cette remasterisation est exceptionnelle et mérite largement cinq étoiles !

 

Sur la deuxième galette, on trouve plusieurs démos, celle de « Space Oddity » (inédite, paraît-il), avec déjà des bruits de science-fiction, des idées d’arrangement, des pistes à creuser ; celle d’ « Occasional Dream » ; et surtout « The Prettiest Star » où l’on entend Marc Bolan à la guitare, Bolan en sideman de David Bowie. Est-ce encore du Bowie ? Est-ce déjà du T. Rex ? En tout cas, c’est une sorte de manifeste glamour avant la lettre. Ce fut un échec. Bowie n’en vendit que mille exemplaires. Pourtant tout était là, en germe. On a déjà entendu l’une des moutures de ce morceau sur le coffret Marc Bolan, le « long box » regroupant quatre CDs, « 20th Century Star », publié en 2002, que l’on vous recommande chaudement, s’il est encore trouvable. « The Prettiest Star », c’est encore Tony Visconti qui en a eu l’idée. « J’ai pensé que les réunir était une bonne idée parce que je savais que Marc aimait se retrouver dans la peau d’un guitariste lead. »

« Ragazzo Solo, Ragazza Sola » (full length stereo version), c'est « Space Oddity » en italien (« Garçon Seul, Fille Seule »). Nous voilà loin de Neil Armstrong... Mais le vrai sujet de la chanson, n’est-ce pas la solitude, plutôt que la conquête de l’espace ? Le silence éternel des espaces infinis effraie le petit rouquin. Bowie chante en roulant le « r », en grasseyant, ça fait bizarre... ça doit être le Berlusconi mix...

Voilà donc un double CD exhaustif qui regroupe vraiment tout ce que Bowie a fait à l’époque, démos, B-Sides, lives enregistrés pour la BBC (« Janine »), alternate mix, versions longues. Il y a à boire et à manger sur ce second disque, un peu fourre-tout, inégal, comme les rééditions Deluxe des premiers The Cure, par exemple.

Brian Jones


-Brian Jones, pourquoi n'allez-vous pas en studio avec les Stones ?

-J' peux pas, j'ai piscine.

mercredi 24 octobre 2012

Hommage à Boris Vian (ses interprètes, son influence)


Dérouillade Blues

 

 

 

 

 

Boris Vian, ses interprètes, et l’influence qu’il a exercée…

 

 

 

 

 

 

On fête les cinquante ans de la disparition de Boris Vian. Il mourut en 1959 des suites d’une crise cardiaque. Il n’avait pas atteint la quarantaine.

 

On le sait, l’auteur de « L’écume de jours » n’était pas seulement un romancier. Il a écrit des chansons étonnantes, et l’influence qu’il a exercée sur les jeunes générations reste déterminante, essentielle, de Gainsbourg à  Antoine, en passant par Henri Salvador, un de ses grands potes, Jacques Dutronc, Yves Simon et Jacques Higelin.

On trouvera dans cet article quelques chansons qui n’auraient vraisemblablement pas été écrites si Bison Ravi n’avait pas existé, s’il n’avait pas commis « J’suis snob » ou « J’voudrais pas crever ». Nous avons aussi sélectionné ses principales reprises. Les noms des interprètes ont été mis entre parenthèses après chaque titre. Nous avons classé les morceaux dans l’ordre chronologique, sauf en conclusion.

 

 

 

 

 

1957

 

« Je me souviens de vous » (Salvador) semble une chanson cafardeuse. « Amie perdue, ma vie, mon cœur, voici que se ferment les fleurs, et voici que je pleure. » Le personnage s’est senti trahi par son amie, les oiseaux en ont perdu leurs couleurs : « Je vous ai vus dans le jardin, sa joue collée à votre joue. Dans le verger plein d’oiseaux gris, s’est arrêtée ma vie. »

 

1958

 

Dans « ça pince » (Salvador), le personnage va chercher des crabes dans les rochers, mais il rapporte une « belle sirène bronzée » dans son « « plumard ».

 

Le « Blues du dentiste » (ou « Blouse du dentiste ») raconte une mésaventure arrivée au narrateur. Il est tombé sur un plombier qui donnait un coup de main à un ami dentiste. On se croirait chez le bourreau : « Il a les tenailles à la main. Oh, oh, oh, maman, j’ai les guibolles en fromage blanc. Avant même que j’aie pu faire ouf, il m’fait déjà sauter trois dents. » Mais la torture n’est pas terminée : « Il me grille la gueule au chalumeau », et le plombier lui prend toute sa paye. Une chanson de malchance et d’usurpation d’identité.

 

« Moi j’préfère la marche à pied » (Salvador) fait songer à « La complainte du progrès » (1955) avec son avalanche de gadgets : « Une bagnole pleine de trucs mécaniques, une tirette pour le whisky glacé,  un bouton pour le beefsteak pommes frites. » Bernard Lavilliers reprendra « La complainte du progrès ».

 

Sur « Trompette d’occasion » (Salvador), le narrateur a déniché un vieil instrument au marché aux puces.

 

« Le poinçonneur des Lilas », de Serge Gainsbourg, met l’accent sur un personnage anonyme : « Le gars qu’on croise et qu’on ne regarde pas ». On l’a relégué dans des enfers modernes : « Y a pas de soleil sous la terre ». Son métier est terriblement machinal : « Paraît qu’y a pas de sot métier, moi j’fais des trous dans des billets ». On retient les conseils qu’il donne, comme des bribes volées au quotidien, et ces informations tranchent, au milieu de ses confidences : « Pour Invalides, changer à Opéra. » « Arts-et-Métiers direct par Levallois. » Son job est tellement répétitif qu’il en a des hallucinations : « Parfois je rêve, je divague, je vois des vagues, et dans la brume au bout du quai j’vois un bateau qui vient me chercher. » Il craque, rêve d’évasion : « J’en ai marre, j’en ai ma claque de ce cloaque, je voudrais jouer la fille de l’air, laisser ma casquette au vestiaire ». A la fin, le personnage devient suicidaire : « Y a de quoi devenir dingue, de quoi prendre un flingue, s’faire un trou, un petit trou, un dernier p’tit trou. » C’est une chanson tout à fait dans le style de celles de Boris Vian. La dette semble évidente…

 

Dans « Charleston des déménageurs de piano », un titre à la Boris Vian, Serge Gainsbourg s’intéresse aux petits métiers bizarres, comme dans « Le poinçonneur des Lilas ». Il utilise les noms propres comme autant de mots poétiques, insolites : « C’est nous les déménageurs de piano, des Steinway, des Pleyel et des Gaveau. » Mais le reste du texte manque d’inspiration, tombe vite dans la trivialité.

 

1960

 

Sur « Faut rigoler » (Salvador), le chanteur, originaire de Guyane française, se moque des leçons d’Histoire inadaptées, qu’il a reçues à l’école : il ne sentait guère concerné par ces prétendus aïeux ! « Nos ancêtres les Gaulois » (il accentue sa prononciation créole), « cheveux blonds et têtes de bois, longues moustaches et gros dadas. » On pense aux paroles du « Lycée Papillon », à ses anachronismes : « Nos ancêtres les Gaulois inventèrent le tabac, et c’est grâce à ce truc-là qu’ils s’fendaient la pipe à tour de bras ! » Le chanteur surfe sur la mode du cha-cha-cha en chantant ce mambo. C’est le premier grand succès d’Henri Salvador, qui a enfin trouvé un créneau : la chanson comique.

 

1963

 

« Ce grand méchant vous », c’est encore du Serge Gainsbourg, première manière. Cette chanson dit la peur du vouvoiement et donc de la distance, dans les relations amoureuses : « J’ai peur du grand méchant vous. Ah ! la vilaine bête que ce vous !» Un texte dans la lignée de ceux du grand Boris.

 

Dans « Maxim’s », le chanteur se rêve en grand seigneur désinvolte, généreux (« Dix sacs au chasseur »). « Ah ! baiser la main d’une femme du monde et m’écorcher les lèvres à ses diamants. » Dès 1963, Serge Gainsbourg a ce goût pour les anglicismes comme s’ils insufflaient un souffle poétique, un sang neuf à la langue française, en en renouvelant le vocabulaire, mais ce procédé peut être aussi une forme de snobisme un peu vaine : « S’envoyer un dry au Gordon et des Pimm’s Number one ». Parfois, on a du mal à décoder…

 

Sur « Serge Reggiani chante Boris Vian, en 1964, « Je bois », c’est une chanson de mari trompé : « Je bois systématiquement pour oublier les amis de ma femme. »

 

« Le déserteur » date de l’époque de la guerre d’Indochine. Le narrateur s’adresse au président de la république. « Je viens de recevoir mes papiers militaires pour partir à la guerre avant mercredi soir ». Le narrateur refuse cette mobilisation. « Je ne suis pas sur terre pour tuer de pauvres gens ». Il compte voyager, prêcher la désobéissance. La fin est pacifiste : « Si vous me poursuivez, prévenez vos gendarmes que je n’aurais pas d’armes et qu’ils pourront tirer », déformant la pensée du poète. Vian avait écrit : « que je tiendrai une arme et que je sais tirer ». Serge Reggiani a donc repris la version de Mouloudji (Vian avait accepté cette modification).

 

Dans « Que tu es impatiente », le poète s’adresse à la mort. « On fait le chemin au devant de toi. Il suffisait d’attendre. »

 

1966

 

« Une autre autoroute » d’Antoine s’adresse à un beatnik en rupture de ban et renvoie à se prise de conscience. « Un jour l’habitude a été trop, tu as posé ton fardeau et sans regret tu as dit à bientôt. La route s’est ouverte à tes pas. » Il a rencontré en chemin la fraternité, la solidarité. « Quand le soir te laisse désemparé tu sais où rencontrer les compagnons qui sauront te consoler. » Les paroles semblent inspirées de « Jeanne » de Brassens (dont Antoine reprendra « L’Auvergnat », autre chanson de solidarité) : « On ne te demande pas ce que tu étais, ce que tu faisais. Tu es là, on t’offre l’amitié. » Brassens écrivait : « Son auberge est ouverte aux gens sans feu ni lieu (…) on peut entrer sans frapper, sans montrer patte blanche. Chez Jeanne, on est n’importe qui, on vient n’importe quand, et comme par miracle, par enchantement, on fait partie de la famille. »  On note aussi un hommage appuyé à Dylan et à Boris Vian : « Leurs mots troublants ne sont que réalité vraiment. »

 

1968

 

« Les rois de la réforme » (Jacques Dutronc) s’insurge contre le service militaire. Une chanson pacifiste dans la lignée du « Déserteur » de Boris Vian (c’est d’ailleurs aussi une lettre). A l’instar de Serge Gainsbourg, Jacques Lanzmann utilise des anglicismes. « Je dirai j’ai une nervous breakdown, tout ce que j’ai, je vous le donne ».

 

1970

 

« Je voudrais pas crever » est un texte à la fois désespéré et désopilant, interprété par Reggiani. Le personnage ne veut pas mourir avant d’avoir tout essayé, tout vu , tout lu, connu toutes sortes d’animaux : « Les chiens noirs du Mexique qui dorment sans rêver (…) les araignées d’argent, au nid truffé de bulles. » Il se voit en cosmonaute pour « savoir si la lune sous son faux air de thune a un côté pointu. » Il compte même se déguiser en femme : « Je voudrais pas crever (…) sans avoir essayé de porter une robe sur les grands boulevards. » l’allégorie de la mort prend l’aspect d’un batracien bancal : « Et moi je vois la fin qui grouille et qui s’amène avec sa gueule moche et qui m’ouvre les bras de grenouille bancroche. »

 

Sur « Jacques Canetti présente Jacques Higelin », en 1973, dans « L’année à l’envers », le temps régresse « jusqu’au mois de juillet, jusqu’à ce foutu soir où tu m’as laissé choir ». « Huit jours en Italie » est encore une reprise du poète de Saint-Germain-des-Prés. Les déjeuners lui font faire des progrès en italien. « Gelati, spaghetti, fritteti, legumi, salami » ...

 

1974

 

Dans « Soldats, ne tirez pas » de Maurice Vidalin, un déserteur s’adresse aux militaires qui le pourchassent, mais ce texte (interprète : Gérard Lenorman) paraît bien moins fort que celui de Boris Vian sur le même thème.

 

1979

 

Dans « Au bal des ballots », Salvador énumère les différents types de dancings : « Y a des bals pour les pompiers et les joyeux militaires. Y en a pour les vieux notaires et les sombres charcutiers. » Il y a de l’agitation dans l’air : « Viens au bal aux ballots, c’est pas Waterloo, mais on s’y bouscule. »

 

Dans « Dérouillade blues » (Salvador), le narrateur se fait accoster par trois « malabars » qui le passent à tabac dans une allée du bois de Boulogne. Puis ils s’aperçoivent de leur erreur quand ils vérifient ses papiers d’identité. « M’sieur Salvador, excusez-nous, on s’est trompés. On vous a pris pour un boxeur qui nous a séduit nos petites sœurs… » Encore un air de malchanceux, basé sur un quiproquo, plus cinématographique (les films de gangsters) que théâtral.

 

1995

 

« Une bonne paire de claques » (Salvador) c’est le remède idéal pour ceux qui sont blasés. « Quand la vue d’un  strip-tease vous fait dire : quelle bêtise, il reste encore un truc qui n’est jamais caduc pour voir la vie en rose : une bonne paire de claques dans la gueule, un direct au creux de l’estomac. » Efficacité garantie : « C’est bien plus bath que le foie gras en terrine, car c’est moins cher et ça n’alourdit pas. » La chanson se termine par une scène de ménage ou par un psychodrame : « Une bonne paire de claques dans la gueule, et ça me consolera, chérie, des soirées où tu manoeuvrais le rouleau à pâtisserie. Tiens, salope ! »

 

 

 

 

 

 

En 1973, Yves Simon sur rendre à Boris Vian un hommage émouvant sur son album « Au pays des merveilles de Juliette ». « Les gauloises bleues » est une évocation délicate de la jeunesse d’Yves Simon, un peu bohême. « On fumait des gauloises bleues qu’on coupait souvent en deux. Les beaux jours ! Les petites femmes de Paris montaient sur nos balcons voir si les fleurs du mal  poussaient encore en cette saison. » L’utopie était au pouvoir : « Jefferson Airplane s’installait à la présidence car les anciens rois du monde venaient d’interdire la danse. » Dans les rêveries du chanteur, Boris Vian rejoint Michel Polnareff : « Boris inventait le jazz tous les soirs au Bal des Lazes. Les beaux jours ! Et sa trompinette mettait le feu aux lampions. » Les beaux jours rejoignent alors L’écume des jours…

 

 

 

Jérôme Pintoux

 

mardi 23 octobre 2012

Palacios et Barrett Dark Globe


Julian Palacios. Dark Globe (Syd Barrett & Pink Floyd).

 

(Le camion blanc, 2012)

                                                                                                                                                                               

Syd Barrett, décédé il y a déjà six ans, avait inventé une certaine forme de poésie psychédélique, la poésie SF. On se souviendra longtemps des chansons du Piper At The Gates Of Dawn : « Scarecrow », « Astronomy Domine », mais aussi des singles, « See Emily Play » ou même « Arnold Layne ». Au début des années 70, il nous avait livré deux superbes albums, inégaux mais toujours intéressants. Syd Barrett, cela pourra sembler mineur à certains. Il s’agit pourtant d’une nappe phréatique des plus profondes. Michka Assayas l’appelait « le grand visionnaire du rock » : il avait dû confondre avec Bob Dylan. « Zombie définitivement grandiose » disait de lui Patrick Eudeline : là, on avait peut-être affaire à une sorte d’autoportrait sublimé. Il y a un mythe Syd Barrett comme il y a des mythes Jim Morrison, Elvis Presley, Ian Curtis, Brian Jones, Hendrix,  Jackson. Une aura mythique se forme vite autour des disparus. Non, Syd Barrett n'est ni le Rimbaud du rock ni l'Ange Déchu du psychédélisme (ni autres calembredaines). Syd Barrett est Syd Barrett, c'est déjà pas mal. Il a écrit des chansons poétiques. Place aux exégètes. A eux d’examiner ses textes incandescents ou bucoliques. Quand on étudie le cas Barrett, on s’aperçoit qu’il y a des choses encore plus dangereuses que la drogue : le stress, la pression. Syd fut en partie victime du harcèlement moral exercé par les petits chefs d’EMI : on lui imposa de faire des tubes. Il y perdit sa créativité, mais surtout sa tranquillité. Ses chansons, quarante-cinq ans après, continuent d’enchanter.  Syd avait seul la clé de ces albums sauvages. On le disait HS depuis des décennies : qu’en sait-on au juste ? Dans une traduction d’Alain Pire, auquel on doit une très belle somme sur le rock psyché en Grande Bretagne, Julian Palacios fait revivre les riches heures de l’ancien leader du Pink Floyd.

King Crimson, par Aymeric Leroy.


Aymeric  Leroy. King Crimson.

(Le Mot et le reste, 2012).

Malgré son horrible pochette de décor de fête foraine ou de toile de saltimbanque, le premier King Crimson, en 1969, il y a quarante-trois ans, s’était imposé dès sa sortie comme une des pierres de touche du Rock Prog. Le groupe était devenu d’emblée le challenger du Pink Floyd dans les voies hasardeuses de la recherche des sonorités. Si le nom du groupe avec son roi pourpre ou cramoisi et le titre In the Court of the Crimson King relevaient de l’heroic fantasy, d’autres morceaux s’inscrivaient plus nettement dans le courant SF angoissant (« 21st Century Schizoid Man ») ou dans la poésie bucolique et visionnaire : « I Talk to the Wind », un titre à la Donovan. C’était Greg Lake qui chantait le mélancolique « I Talk to the Wind ». Il devait quitter le groupe dès la fin 1970 pour fonder Emerson Lake & Palmer. La pochette du troisième album (Lizard, en 1970) nous emmenait dans un monde moyenâgeux et celle du second album (In The Wake Of Poseidon) revisitait les dieux de l’Antiquité. Mais la grande réussite de Robert Fripp, le guitariste et l’âme de King Crimson, c’est peut-être sa participation au « Heroes » de David Bowie, en 1977, avec sa guitare lancinante, sinueuse, entêtante. We can be heroes just for one day. Un ouvrage sérieux, bien fait, un peu austère.

dimanche 21 octobre 2012

Interview fictive de François Bon, pour Rolling Stones, une biographie, en 2002.


Interview de François Bon, pour Rolling Stones, une biographie, en 2002.

François Bon, vous aimez bien les disques live ? Vous les préférez aux enregistrements studios ?

Oui, et mieux encore que les disques live, les bootlegs. On les réécoute sans lassitude, quand les versions officielles paraissent figées, et s'éloignent de nous un peu comme au musée de l'Air on s'étonne devant les Spoutnik ou Apollo de la même époque. Les disques pirates, où nul technicien n'est venu passer des heures sur chaque minute pour lisser, enfler, mixer, gommer, gardent comme en temps réel la sueur et les plantages, la fragilité de la tentative, les interjections et les jurons.

Keith Richards trouvait parfois l'inspiration dans un demi-sommeil ?

Oui, par exemple la séquence d'accords de Satisfaction. Keith était déjà assez mûr pour savoir ça, qui vaut pour le poète ou le romancier comme pour le musicien : ces choses prises à la nuit, on ne doit pas les laisser partir. C'est sur l'instant qu'il faut en capter la trace, sinon l'illusion qu'elles nous laisseront restera comme ça une lueur vague et sans matière.

Anita Pallenberg, la "fiancée" de Brian Jones, n'avait pas la langue dans sa poche ?

Non, pas vraiment… Elle n'était pas tendre avec ses copines, Anita Pallenberg : "Charlie Watts avait une espèce de femme sèche qu'il gardait dans l'arrière-cour, et Bill Wyman aussi, vous savez : des filles d'arrière-cour, avec des personnalités comme de la musique d'ascenseur."

Vous n'avez pas l'air d'aimer les disques des Stones de 1967 ?

C'est sûr que ce n'est pas ma période préférée… We Love You et Dandelion sortent en août 1967 en prélude à l'étrange et déliquescent album par lequel les Rolling Stones auraient pu simplement finir : Their Satanic Majesties Request. Une année vide…

Rien à garder ?

Si, 2000 Light Years From Home, la chanson qui reste de cette période trouble.

C'est l'année où ils se sont retrouvés en taule ? Et sans aucun traitement de faveur ?

Non. Aucun. Fouille au corps pour Keith Richards, dépôt des affaires personnelles, anthropométrie. La prison était en émoi, les gars l'appelaient mate, "collègue", en l'apostrophant de barreaux en barreaux : "Ça fait des années qu'on t'attendait ici, collègue… - T'inquiète, mon pote, j'y serai pas longtemps."

C'est aussi l'époque du mellotron ?

Un instrument qui ne survivra pas à cette année-là. C'est Brian Jones qui s'est approprié le monstrueux mellotron, et ce sera son chant du cygne.

Sur "Satanic", il y a un morceau de Bill Wyman?

Oui. Est-ce parce qu'on sent qu'il glisse vers le dehors et qu'on doit se serrer les coudes ? On condescend à enregistrer deux titres de Bill Wyman, dont In Another Land.

Sympathy For The Devil, ça viendrait de Boulgakov ?

Il y avait ce roman de Boulgakov qui venait d'être traduit, The Master and Margarita, dont l'incipit est justement ce Permit me to introduce myself qui deviendra chez les Stones le Please allow me to introduce myself, qu'en trente ans ils n'arriveront pas à user.

Se droguaient-ils encore en 1970 ?

L'héroïne circulait lourdement, mais au sein des Stones ne contaminait que Richards.

Ecrire sur le rock, contrairement à ce que l'on pense en général, cela demande beaucoup de rigueur ?

C'est le problème avec ce qu'on projette sur l'écriture de rock, de croire qu'il suffit d'adopter un débraillé de surface et d'afficher des valeurs mises en partage comme si elles disposaient en elles-mêmes des vertus de la surrection qu'on cherche à décrire. On n'a pas cessé d'assister à la mise sur le marché de livres qui, pour se prétendre aussi rock que la musique qu'ils décrivent, participeront au mieux d'une bonne veine populiste.

lundi 15 octobre 2012

Interview de Pierre Benoit, pour Le puits de Jacob, en 1925.


Nouvelle interview de Pierre Benoit, pour Le puits de Jacob, en 1925.

Pierre Benoit, dans Le puits de Jacob, Agar Mosès avait-elle passé son enfance à Constantinople ?

Oui. Dans l'un des plus misérables ghettos européens.

Sa petite sœur Sarah était-elle décédée ?

Oui. Elle était morte d'une de ces épidémies levantines mal définies.

Agar s'intéressait-elle à l'histoire sainte ?

La destinée tour à tour étincelante et lugubre du peuple de Dieu surexcitait son imagination.

Etait-elle très pauvre ?

Elle était vêtue à peu près convenablement, mais, à treize ans, elle n'avait jamais eu encore une robe neuve.

Une chanteuse juive, Rachel Bernheim, dite Lina de Marville, l'avait prise sous sa protection ?

Oui. Son appartement avait séduit la petite Agar. Si banal qu'il fût, jamais elle ne s'était avisée d'un tel confort, d'un tel luxe. Les mille petits bibelots criards dispersés un peu partout, les mystérieux objets de toilette l'avaient enchantée…

Madame Lazaresco avait voulu faire d'Agar une chanteuse puis une danseuse ?

Elle dut assez vite abandonner l'espoir d'en faire une chanteuse. Agar avait une voix trop ténue, et qui manquait d'aplomb. Mais comme danseuse, il apparut qu'elle devait arriver à des résultats satisfaisants et rapides.

Avait-elle les dispositions nécessaires ?

Sa conformation physique l'y prédisposait. Grande, un peu maigre encore, la jeune fille avait les jambes longues et fines, les hanches harmonieuses, et ce charmant dos arqué, fendu, qui sait si bien, en se cabrant, en se renversant, exalter les désirs, surtout lorsque, comme c'était la cas, l'impassibilité presque dure du visage accroît le caractère lascif des mouvements en le compliquant de mystère.

Interview de Pierre Benoit, pour L'Atlantide, en 1920.


Nouvelle interview de Pierre Benoit, pour L'Atlantide, en 1920.

Pierre Benoit, le narrateur de L'Atlantide, c'est Olivier Ferrières ?

Oui. Le confident d'André de Saint-Avit. Il est lieutenant au 3ème Spahis.

Se sentait-il isolé dans son poste africain ?

Oui et non… Les distractions étaient rares… Mais ses amies françaises ne l'avaient pas laissé tomber. Mademoiselle Cécile de C… lui avait envoyé les derniers ouvrages de Bourget,  de Loti et de France, plus les deux ou trois scies à la mode dans les cafés concerts.

Les oasis étaient-elles rares dans ces régions désertiques ?

Oui. De simples mares, rien de plus…

Saint-Avit traînait-il derrière lui une très mauvaise réputation ?

Oui… On disait qu'il avait assassiné son compagnon de route, le capitaine Morhange.

Ce Saint-Avit avait-il l'air narquois ?

Le capitaine Grandjean avait déclaré à propos de cet officier qu'il n'oublierait jamais ce visage, ce regard ironique et lointain, cette voix triste et douce.

Le capitaine de Saint-Avit lisait-il beaucoup d'ouvrages de l'Antiquité sur le Sahara ?

Mais il ne lisait que ça ! Tous les textes consacrés à un titre quelconque, par l'Antiquité aux régions sahariennes, étaient réunis entre les quatre murs crépis de sa chambre. Hérodote et Pline, naturellement, et aussi Strabon, et  Ptolémée,  Pomponius Mela et Ammien Marcellin. Mais à côté de ces noms on apercevait ceux de Corippus, de Paul Orose, d'Erastothène, de Photius, de Diodore de Sicile, de Solin, de Dion Cassius, d'Isodore de Séville, de Martin de Tyr, d'Ethicus, d'Athénée….

Une vraie bibliothèque, digne d'un institut de latin ! Il avait des lectures dignes également de celles de Roderick Usher, le personnage de Poe, et qui entretenaient ses rêveries ou ses rêvasseries ?

Oui… Les Scriptores Historiae Augustoe, l'Itenarium  Antonini Augusti, les Geographi latini minores de Riese, les Goeographi groeci minores de Karl Müller…  Agatharchide de Cos, Artémidore d'Ephèse… La présence de leurs dissertations dans les cantines d'un capitaine de cavalerie ne fut pas sans causer quelque émoi à Olivier Ferrières…

Une belle page, complètement imitée de Poe, mais une belle page quand même…

Merci à vous…

Les lettrés semblaient rares sous ces latitudes ?

On aurait pu affirmer, sans crainte d'être démenti, que jamais officier des bureaux arabes n'avait possédé de bibliothèque où les humanités eussent été aussi bien représentées.

Saint-Avit  faisait-il de longues courses dans le désert ?

Oui… Une fois, à l'aube, il n'était toujours pas de retour. Il ne rentra que vers midi. Son chameau s'abattit plutôt qu'il ne s'agenouilla.

Saint-Avit et Morhange s'étaient retrouvés prisonniers de la reine Antinéa ?

Oui… La descendante de Neptune…