Interview de François Bon,
pour Rolling
Stones, une biographie, en 2002.
François Bon, vous
aimez bien les disques live ? Vous les préférez aux enregistrements studios ?
Oui, et mieux encore
que les disques live, les bootlegs.
On les réécoute sans lassitude, quand les versions officielles paraissent
figées, et s'éloignent de nous un peu comme au musée de l'Air on s'étonne
devant les Spoutnik ou Apollo de la même époque. Les disques pirates, où nul
technicien n'est venu passer des heures sur chaque minute pour lisser, enfler,
mixer, gommer, gardent comme en temps réel la sueur et les plantages, la
fragilité de la tentative, les interjections et les jurons.
Keith Richards trouvait
parfois l'inspiration dans un demi-sommeil ?
Oui, par exemple la
séquence d'accords de Satisfaction.
Keith était déjà assez mûr pour savoir ça, qui vaut pour le poète ou le
romancier comme pour le musicien : ces choses prises à la nuit, on ne doit pas
les laisser partir. C'est sur l'instant qu'il faut en capter la trace, sinon
l'illusion qu'elles nous laisseront restera comme ça une lueur vague et sans
matière.
Anita Pallenberg, la
"fiancée" de Brian Jones, n'avait pas la langue dans sa poche ?
Non, pas vraiment… Elle
n'était pas tendre avec ses copines, Anita Pallenberg : "Charlie Watts
avait une espèce de femme sèche qu'il gardait dans l'arrière-cour, et Bill
Wyman aussi, vous savez : des filles d'arrière-cour, avec des personnalités
comme de la musique d'ascenseur."
Vous n'avez pas l'air
d'aimer les disques des Stones de 1967 ?
C'est sûr que ce n'est
pas ma période préférée… We Love You
et Dandelion sortent en août 1967 en
prélude à l'étrange et déliquescent album par lequel les Rolling Stones
auraient pu simplement finir : Their
Satanic Majesties Request. Une année vide…
Rien à garder ?
Si, 2000 Light Years From Home, la chanson qui reste de cette
période trouble.
C'est l'année où ils se
sont retrouvés en taule ? Et sans aucun traitement de faveur ?
Non. Aucun. Fouille au
corps pour Keith Richards, dépôt des affaires personnelles, anthropométrie. La
prison était en émoi, les gars l'appelaient mate,
"collègue", en l'apostrophant de barreaux en barreaux : "Ça fait
des années qu'on t'attendait ici, collègue… - T'inquiète, mon pote, j'y serai
pas longtemps."
C'est aussi l'époque du
mellotron ?
Un instrument qui ne
survivra pas à cette année-là. C'est Brian Jones qui s'est approprié le monstrueux
mellotron, et ce sera son chant du cygne.
Sur "Satanic", il y a un morceau de Bill Wyman?
Oui. Est-ce parce qu'on
sent qu'il glisse vers le dehors et qu'on doit se serrer les coudes ? On
condescend à enregistrer deux titres de Bill Wyman, dont In Another Land.
Sympathy
For The Devil, ça viendrait de Boulgakov
?
Il y avait ce roman de
Boulgakov qui venait d'être traduit, The
Master and Margarita, dont l'incipit est justement ce Permit me to introduce myself qui deviendra chez les Stones le Please allow me to introduce myself,
qu'en trente ans ils n'arriveront pas à user.
Se droguaient-ils
encore en 1970 ?
L'héroïne circulait
lourdement, mais au sein des Stones ne contaminait que Richards.
Ecrire sur le rock,
contrairement à ce que l'on pense en général, cela demande beaucoup de rigueur
?
C'est le problème avec
ce qu'on projette sur l'écriture de rock, de croire qu'il suffit d'adopter un
débraillé de surface et d'afficher des valeurs mises en partage comme si elles
disposaient en elles-mêmes des vertus de la surrection qu'on cherche à décrire.
On n'a pas cessé d'assister à la mise sur le marché de livres qui, pour se
prétendre aussi rock que la musique qu'ils décrivent, participeront au mieux
d'une bonne veine populiste.
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