dimanche 15 novembre 2015
XTC. Mummer (1983)
Mummer (1983)
On retiendra essentiellement « Wonderland ». Les
guitares ponctuent de leurs miaulements cette douce chanson de Moulding.
Dommage que le chanteur force un peu trop sa voix. Harrison avait parfois ce
problème. Sa voix n’était pas assez forte. C’est pourquoi George Martin l’avait
mis en retrait. George en devint ombrageux.
« Wonderland » c'est un peu Lewis Carroll revu par
des Beatles New Wave ?
Ce serait trop caricatural d’énoncer les choses ainsi, même si des guitares
style Harrison se font reconnaître au passage. Dans le clip promo, une
jeune fille danse avec Moulding. Il y a un fondu enchaîné : la robe se
transforme en tutu. La nouvelle Alice se retrouve en robe de petite fille avec
des manches ballon. Elle danse dans les champs, puis dans un labyrinthe végétal
(comme dans le Shining de Stanley
Kubrick). Partridge, habillé en jardinier, peint des
roses. Il en offre une à la nouvelle Alice. Elle trouve une quantité de lapins
blancs, n’arrive plus à trouver l’issue du labyrinthe, se perd dans un dédale
de haies. La nuit tombe. Une apparition monstrueuse : des armatures de
mannequins chevalins, assez anxiogènes. Alice rencontre le bébé-cochon et le
chat du Cheshire, avec son sourire étrange, ses yeux lumineux comme des phares.
Puis on la voit prostrée au fond du labyrinthe. Elle tombe dans une piscine.
Comme Ophélie, elle flotte au gré du courant. Des jardiniers, munis de
cisailles, taillent dans la haie une statue végétale figurant la jeune fille.
On la voit ensuite flottant dans la piscine, dont les eaux, un peu glauques,
ressemblent à celles d’un marécage. « Float
on a river for ever and ever, Emily »
disait déjà Syd Barrett.
C’est une de ces chansons anglaises sur ces adolescentes qui
ont du mal à trouver leurs marques. Une chanson sur le monde de l’enfance, les
difficultés du passage à la vie adulte. Les paroles évoquent doucement ses
inhibitions : « Un jour tu vaincras tes peurs, tes malédictions ». Et tu te retrouveras au pays des Merveilles. On y parle de
blocage en voie de résolution. Le temps est un grand maître, dit-on… C’est la
grande tradition des adolescentes mal dans leur peau. Le clip est peut-être trop
référentiel pour être onirique...
XTC. English Settlement (1982)
English Settlement (1982)
C’est l’album du repliement sur soi. Retour aux racines
anglaises. Partridge renonce à la scène et se consacre à l’écriture. A trop
tourner, on perd son âme. Les
dessins préhistoriques de la pochette : le cheval de l’âge de pierre, effilé,
stylisé et malingre, souple et nerveux comme un Giacometti. L’album s’inscrit
dans le regain de celticité qui sévit en Angleterre en 1982. Souvenez-vous de la
pochette d’Avalon, de Roxy Music,
avec cette femme casquée tenant un petit faucon, ou du « Celtic sound » des Kevin Rowland Dexys Midnight Runners, musiciens des
rues. Un revival éphémère.
Sur « Senses Working Overtime », l’identification de Partridge à Lennon (défunt) est assez
frappante, jusqu’à la tenue vestimentaire. « Je peux voir, entendre,
sentir, toucher et goûter, et j’ai un deux, trois, quatre, cinq sens qui font
des heures supplémentaires, et les cloches de l’église tintent doucement ». Poésie rurale, calme, sensuelle, sereine, dominicale.
« Jason
And The Argonauts »
Ce sont des rêveries sur la mythologie, la réactualisation
d’un vieux mythe grec. Que seraient donc les Argonautes si Orphée n’était pas
sur la nef Argo ? Un ramassis de pirates de la « Mer Noire » partis pour voler la Toison d’Or. « Oh,
ma tête tourne, elle est pleine des bêtes que j’ai vues. Il me semble que plus
je voyage, plus je trouve des poissons bizarres dans mes filets, comme Jason et
les Argonautes en avaient pêché. Je suis allé dans un pays où les hommes
obligent les femmes à cacher leur beauté. Mais ici, en occident, c’est
exactement pareil. Elles se maquillent, ça leur sert de voile ». Des réflexions narquoises, à la Swift ou à la Lennon. « Et le vent
des mensonges a soufflé et a gonflé mes voiles ». Les paroles collent à l’actualité.
Les hommes-animaux,
en anglais manimals,
c’est un mot-valise à la
H.G. Wells (L’île du
Docteur Moreau). L’histoire de la
femme écarlate est une référence à l’Apocalypse de Saint Jean. Dylan l’évoque
aussi dans « Jokerman » sur Infidels.
vendredi 16 octobre 2015
mardi 8 septembre 2015
U2. The Unforgettable Fire
U2
The Unforgettable Fire
(1984)
The Unforgettable, c'est du rock héroïque de 1984 (vingt-huit ans
déjà), après l'extraordinaire « New Year's Day » sur War
(1983) : pas mal mais sans grand éclat, au son un peu trop familier, un peu
trop connu, comme des drapeaux, des oriflammes ou des bannières, qui seraient
restés trop longtemps au grenier. Oubliés dans un coin, ils auraient pris la
poussière. On les aurait nettoyés scrupuleusement, minutieusement. On aurait
tenté de rafraîchir leurs couleurs passées, mais ils se seraient surtout
déployés au vent dans les années 80 : les tempêtes des années 2010
semblent les ignorer, ils restent souvent en berne ou se déploient avec
raideur.
C’est pourtant un album cohérent, sans réel temps faible, sans facilité.
On relève surtout trois temps forts : « Pride » (In The Name Of Love) écrit à la mémoire de Martin
Luther King, très bien interprété, ainsi que « The Unforgettable Fire » (composée de plusieurs mouvements) et « Bad », produits par Brian Eno et Daniel Lanois.
Parfois on croirait entendre les Simple Minds : la voix de Bono se
fait douce et rejoint celle de Jim Kerr. Plusieurs chansons parlent des
Etats-Unis, d’Elvis, de l’été indien : on s’éloigne des terres
irlandaises.
On note un formidable travail à la batterie que la remasterisation rend
bien et accentue. Le batteur, le grand Larry Mullen Junior, aurait été digne de
jouer chez Adam and the Ants, avec sa frappe martiale, son sens du rythme. Ce
sont tous d’excellents musiciens mais le batteur est l’un des meilleurs de sa
génération.
La guitare de the Edge fournit un contrepoint lyrique (et toujours
élégant) à la voix du chanteur. La basse est omniprésente.
La pochette représente Moydrum, un de ces châteaux anglais soi-disant
hantés, recouvert de lierre. Il n’en reste que quelques pans, qui s’écrouleront
un jour. On voit cette ruine sous d’autres facettes sur le livret. Elle semble
encore plus démantelée sur les autres clichés (Moydrum, dans la province de
Limerick).
Avec War et
The Joshua Tree,
on pourrait parler de trilogie héroïque ou de trilogie épique, pour ce groupe
irlandais qui connut un succès international, et qui perdure.
Extrait d'OLD WAVE COLD WAVE NEW WAVE de J. Pintoux, au Camion blanc.
Depeche Mode. Speak And Spell.
Depeche
Mode
Speak And Spell
La pochette de Speak and Spell (« Parle et maudis ») est bizarre. Speak and Spell peut également signifier « Parle et épèle », ce que pourrait dire un instituteur à un élève. Il s'agit donc d'un jeu de mots, d'un titre contextuel. Cette pochette représente un cygne empaillé sur un nid de branches mortes, le tout emballé dans du plastique. Le titre ferait référence à un jouet d'enfant, qui parlerait et lancerait des malédictions, comme dans un conte fantastique.
Il s'agit du premier
album d'une toute jeune formation qui jouait d'instruments entièrement
électroniques à une époque où le tout guitare était de rigueur. C'était
déjà de la New Wave ,
mais en 1981, on les qualifiait de futuristes.
Ils venaient d'un bled du
sud de l'Angleterre (Basildon) et de la classe ouvrière. Ils eurent du mal à
s'imposer : on les prit moins au sérieux que leurs concurrents immédiats, Human
League ou Heaven 17.
Ils devinrent si
« énormes », dans les années 80, qu'ils concurrencèrent jusqu'à U2 sur
la scène internationale.
La réédition de ce
premier CD offre une qualité de son exceptionnelle. Toutes ces rééditions
Deluxe sont confondantes de qualité. Il y a là quelques morceaux sublimes, insoupçonnés.
A l'époque toutes les chansons étaient composées par Vincent Clarke, le
clavier, qui devait quitter le groupe à l'issue de ce premier album, pour
fonder Yazoo, avec la chanteuse Alyson Moyet, puis Erasure. Puis ce fut Martin
Gore qui prit le relais.
Les deux derniers titres
de l'album, tous deux sortis en single, sont d'une qualité exceptionnelle, « Can't
Get Enough », et « Dreaming Of Me ». Dave Gahan s'impose au
chant. Sa voix sonne juste. Les autres morceaux s'écoutent avec un certain
intérêt.
Le DVD, qui accompagne
cette réédition, présente les débuts du groupe sur la scène anglaise, leurs
tâtonnements, avec interviews des principaux protagonistes. Ils ont commencé
avec de petits claviers monophoniques. Ce n'étaient pas de bons guitaristes :
ils ont décidé de jouer de la musique électronique.
Ils ont fait la première
partie de Fad Gadget, ont failli signer chez Rough Trade, mais ont finalement
été engagés par Mute Records. Au départ, ils avaient l'air d'étudiants bien
sages. Leur premier album, à base de Moog Prodigy et de Yamaha a posé les jalons de ce qui allait suivre. Ils ont eu la
chance de tomber sur le producteur Daniel Miller, un as du synthé, spécialisé
dans les vieux modèles analogiques. Leur premier grand succès, ce fut « New
Life »
(onzième dans les charts). Le jeu de scène de
Dave Gahan imitait étrangement celui de Jim Kerr, le leader des Simple Minds...
Extrait d'OLD WAVE COLD WAVE NEW WAVE de J. Pintoux, au Camion blanc.
Extrait d'OLD WAVE COLD WAVE NEW WAVE de J. Pintoux, au Camion blanc.
Simple Minds
Simple Minds
Pourquoi les Simple Minds, qui étaient si bons, si doués,
sont-ils tombés en déréliction ?
Coquin de sort. Une de ces destinées artistiques dont la
trajectoire nous échappe. On voit les artistes au faîte de leur gloire. Puis la
mode change : on les oublie. Simple Minds n'échappe pas à la règle. On les
connut post-Punk. Néoromantiques d'avant-garde.
Ils devinrent ensuite un groupe de stade, vers 1988. Peut-être les seuls rivaux
planétaires d'U2. Puis le succès les délaissa, ils replongèrent dans
l'anonymat. La critique s'est ingéniée à les conspuer, depuis le succès de « Mandela
Day », de leurs tournées internationales.
Il y eut en outre plusieurs défections au sein du groupe, qui ne conserva que
son noyau dur, le chanteur et le guitariste. Tous deux co-auteurs et excellents
compositeurs.
« Promised You A
Miracle »
Une blonde glacée, haute couture, hante ce clip. On la
croirait échappée d'une pochette de Roxy Music. Le chanteur Jim Kerr se la joue
Bryan Ferry, qui lui-même se la jouait Nouveau Brummel…
« Glittering Prize »
Une collection de masques mortuaires, hiératiques et dorés.
Tels des masques de pharaon. Ou la pochette de Byrdmaniax, des Byrds, figée, un peu anxiogène. Jim Kerr, Toutankhamon mort-vivant, ouvre les yeux tout au fond
de son sépulcre. La douceur de sa voix est telle que l'on fait chuchoter
certains mots à la jeune femme glamour qui se promène dans ce mini film. Mais
c'est bel et bien Jim Kerr qui les murmure.
« Speed Your Love To Me » (1984)
Des plongées sur Glasgow enneigé. La caméra balaye l’espace.
Des images de docks et d’installations portuaires. Une ville écossaise en
hiver. Une tristesse septentrionale. Simple Minds nous montre son territoire.
Urbain, mais pas seulement. Des images de lochs. Un enthousiasme sans
fébrilité. Le charisme de Jim Kerr. On voudrait avoir la pêche du chanteur. Il a
l’air sage et jeune. « Speed Your Love To Me » multiplie les panoramiques sur le Loch Ness et le Glagow
portuaire. L'Ecosse dans sa multi réalité. Les couleurs du Loch sont
étincelantes. Quelques vues des Highlands, qui ressemblent au Massif Central.
Hommage aux montagnes d'Ecosse.
« Waterfront »
La vidéo de « Waterfront » alterne les prestations scéniques et les vues portuaires de
Glasgow.
« Up On The
Catwalk »
« Tout en haut de la gouttière ». Encore le thème du masque, sous la
forme du visage peint. Des portraits robots défilent
à toute vitesse. Ce qui a mal vieilli, c'est la garde-robe de Jim Kerr…
« Don't You »
Le chanteur évolue dans une pièce encombrée de jouets. Train
électrique, cheval à bascule. Salle de jeu, lambrissée à mi-hauteur, comme une
pièce de château écossais, où évoluerait un fils de laird.
« Alive And
Kicking »
Une vue aérienne des musiciens, allongés dans l'herbe. De
belles images de cascades. C'est l'un des clips les plus romantiques qui
soient. De superbes paysages (écossais ou alpestres ?) forestiers et
montagnards. Une caméra subjective, en travelling arrière, qui se perd dans les
bois. Le groupe, sur une esplanade rocheuse, à la Friedrich. Jim Kerr
fait semblant de voler. Heureusement qu'il n'y a pas un chasseur dans le coin…
« She's A River »
On dirait du Doors
Tamla-Motown.
« Belfast
Child »
Croyance en l'avenir. Les enfants seront peut-être moins
bêtes que leurs parents : ces stupides guerres de religion cesseront peut-être
un jour. Les mouettes sillonnent les champs d'immondices. Une violoniste,
nouvelle venue dans le groupe. Un groupe celtique.
Extrait d'OLD WAVE COLD WAVE NEW WAVE de J. Pintoux, au Camion blanc.
samedi 29 août 2015
XTC. Les scaphandriers de Black Sea (1980)
Les scaphandriers de Black Sea (1980)
Dignes et altiers, dans leurs scaphandres encombrants, gorgés
d’eau et d’un autre âge, que recherchent-ils au fond des mers ? Ils ont l’air de traquer l’épave de la Nef Argo , à moins qu’il
ne s’agisse de la fameuse Toison d’Or, également gorgée d’eau,
vraisemblablement pourrie, suite à un trop long séjour au fond des eaux. La
pochette est volontairement anachronique : on dirait des cosmonautes
maritimes d’un autre siècle. C’est encore et toujours l’ombre du sous-marin
jaune… L’influence de Vingt mille lieues
sous les Mers, son adaptation par
Terence Fisher (studios Disney, 1954) semble évidente. Un décalage
temporel, mais aussi décalage spatial : cette « Mer Noire » c’est peut-être la
Mer du Nord. Une mer fuligineuse, dont la couleur signale les
dangers. Un décor trompe-l’œil et de vieux gréements.
« General and Majors », la meilleure chanson du disque, n’a
pas eu le succès qu’elle aurait mérité. C’est un hymne effronté, irrévérencieux,
antimilitariste et réjouissant. Des paroles à la Lennon. Le refrain
dit : « Ils ont toujours l’air malheureux, sauf quand ils déclarent
la guerre ». Les gradés en ont assez de rester
dans l’ombre…. Dans le clip, digne de Magical
Mystery Tour, on les voit faire du trampoline
dans un château-fort gonflable, un jouet de plage ou de fête foraine.
« Rocket From A Bottle », de Partridge, se ferme sur l’accord
d’ouverture de « A Hard Day’s Night » : toutes cordes à vide.
(...)Extrait d'OLD WAVE COLD WAVE NEW WAVE DARK WAVE de J. Pintoux, au CAMION BLANC.
samedi 22 août 2015
Mylène Farmer. Monkey Me (2012)
L'ambiance
y est moins gothique que par le passé. Pourtant les paroles semblent toujours
aussi sinistres, angoissées : Mais où va
le monde ? Mais où est ma tombe ? Mais que devient le monde ? Un tout qui
s'effondre. Un rossignol lugubre. La mort individuelle se confond avec
l'apocalypse généralisée (après elle, le Déluge ?), Inévitable naufrage, Je sais
bien pourquoi la lune n'a plus le même éclat ("Tu ne le dis pas").
Sensuelle
et sans illusion, c'est une Anna de Noailles new look. La poétesse de la Belle
Epoque écrivait déjà : Mais vous, force
des nuits, feu d'argent, tubéreuse, Reine des soirs puissants, cœur profond,
chair heureuse, Dont le velours est fait de parfums condensés, Vous, par qui le
poumon, soudain, s'enfle et se creuse. Ne dirait-on pas du Mylène Farmer,
et jusque dans la scansion ? Rajoutez par-dessus la mélodie des
"Regrets", vous verrez le résultat. Pierre Benoit disait de la
comtesse femme-poéte : Rimes plates
d'abord, puis quand les nerfs sont suffisamment ébranlés, un feu d'artifice
déchirant de rimes embrassées. Je n'oublierai jamais la secousse nerveuse que
me produisit, sous ce ciel embaumé d'Orient, l'énumération des fleurs aux
parfums trop lourds, couronnés par l'évocation à leur belle reine, d'un
sensualisme oppressé impossible à exprimer. Un texte quasi prémonitoire,
évoquant, dirait-on, la belle Mylène, désenchantée.
Un album néo-disco,
"madonnesque", si l'on nous permet ce néologisme, des morceaux qu'il
faut écouter au casque pour en saisir les nuances, les saveurs, les subtilités.
Si l'on se contentait de les entendre de loin, en bruit de fond, dans le
premier hyper venu, on n'en verrait que les grandes lignes, les facilités : ils
méritent une autre approche, plus attentive, plus concentrée.
mardi 18 août 2015
Interview de Robert Garnier, pour sa tragédie Hippolyte, en 1573.
Pardon, ce n'est pas très marrant, mais j'ai pensé que cela pourrait vous amuser, cette langue fin XVIème...
Interview de Robert Garnier, pour sa tragédie Hippolyte, en 1573.
Il avait ses chiens de chasse avec lui ?
Il se vient présenter un grand Lion affreux,
Le plus fort & massif, le plus épouvantable
Ses yeux étaient de feu, qui flambaient tout ainsi
Que deux larges tisons dans un air obscurci.
Sa gueule était horrible, & horribles ses dents
Qui comme gros piquets apparaissaient dedans.
Vaincu de tourment il jette un cri si haut,
Qu’il en laisse son songe, & s'éveille en sursaut,
Si froid & si tremblant, si glacé par la face,
Par les bras, par le corps, qu’il n'était que glace.
Il fut longtemps ainsi dans son lit étendu,
Regardant çà & là comme un homme éperdu,
Que l'esprit, la mémoire, & le sens abandonne,
Qui ne sait ce qu'il est, ne connaît plus personne,
Immobile, insensible…
Interview de Robert Garnier, pour sa tragédie Hippolyte, en 1573.
Robert Garnier, dans le songe d’Hippolyte, vous évoquez l’arrivée de l’aurore ?
Les monts sourcilleux commencent à jaunir.
Hippolyte est content de revoir le soleil ?
Il le salue, lui, son char, ses chevaux, & ses beaux rayons d'or.
Il vient de faire un rêve éprouvant ?
Il lui semblait dormant, qu’il errait solitaire
Au creux d'une forêt, son ébat ordinaire.
Au creux d'une forêt, son ébat ordinaire.
L’endroit était particulièrement sombre ?
Il y faisait obscur non pas du tout comme
En une pleine nuit, qu'accompagne le somme :
Mais comme il fait au soir, après que le soleil
A retiré de nous son visage vermeil.
En une pleine nuit, qu'accompagne le somme :
Mais comme il fait au soir, après que le soleil
A retiré de nous son visage vermeil.
Il avait ses chiens de chasse avec lui ?
Quatre de ses chiens y entrèrent d'aventure,
Quatre molossiens de guerrière nature.
Quatre molossiens de guerrière nature.
Ils avaient senti la présence d’un gibier quelconque ?
Il se vient présenter un grand Lion affreux,
Le plus fort & massif, le plus épouvantable
Ses yeux étaient de feu, qui flambaient tout ainsi
Que deux larges tisons dans un air obscurci.
Sa gueule était horrible, & horribles ses dents
Qui comme gros piquets apparaissaient dedans.
Les chiens ont dû avoir peur ?
Et pas qu’un peu !
Bien que hardis, si tôt qu’ils l'avisèrent
Que saisis de frayeur, dehors ils s'élancèrent :
Accoururent vers lui, tremblant & pantelant,
Criant d'une voix faible.
Que saisis de frayeur, dehors ils s'élancèrent :
Accoururent vers lui, tremblant & pantelant,
Criant d'une voix faible.
Ils ont détalé vite fait ?
Comme un grand chef guerrier, qui voit ses gens en fuite,
A beau les exhorter, les prier, supplier
De retourner visage, & de se rallier :
A beau faire promesse, a beau donner menace,
C'est en vain ce qu'il fait : ils ont perdu l'audace,
Ils sont sourds & muets, & n'ont plus autre soin,
Que de hâter le pas & de s'enfuir bien loin.
A beau les exhorter, les prier, supplier
De retourner visage, & de se rallier :
A beau faire promesse, a beau donner menace,
C'est en vain ce qu'il fait : ils ont perdu l'audace,
Ils sont sourds & muets, & n'ont plus autre soin,
Que de hâter le pas & de s'enfuir bien loin.
Le fauve s’est jeté sur Hippolyte ?
Ses griffes fondaient dans son estomac nu,
L'écartelant sous lui comme un poulet menu
Qu'un Milan a ravi sous l'aile de sa mère,
Et le va déchirant de sa griffe meurtrière.
L'écartelant sous lui comme un poulet menu
Qu'un Milan a ravi sous l'aile de sa mère,
Et le va déchirant de sa griffe meurtrière.
C’est à ce moment-là qu’il s’est réveillé ?
Vaincu de tourment il jette un cri si haut,
Qu’il en laisse son songe, & s'éveille en sursaut,
Si froid & si tremblant, si glacé par la face,
Par les bras, par le corps, qu’il n'était que glace.
Il fut longtemps ainsi dans son lit étendu,
Regardant çà & là comme un homme éperdu,
Que l'esprit, la mémoire, & le sens abandonne,
Qui ne sait ce qu'il est, ne connaît plus personne,
Immobile, insensible…
Puis il a fini par se raisonner ?
Il s’est dit : « Ce n'est qu'un vain semblant, qu'un fantôme, une image
Qui nous trompe en dormant, & non pas un présage »…
Qui nous trompe en dormant, & non pas un présage »…
lundi 10 août 2015
Sad-Eyed Lady
Sad-Eyed
Lady of the Lowlands
"The kings of Tyrus with their convict list
Are waiting in line for their geranium kiss,
And you wouldn't know it would happen like this,
But who among them really wants just to kiss you?
With your childhood flames on your midnight rug,
And your Spanish manners and your mother's drugs,
And your cowboy mouth and your curfew plugs,
Who among them do you think could resist you?"
L'un des morceaux-clés du disque et
de l’œuvre. Onze minutes et dix-huit secondes ! C’est une valse très
mystérieuse. Un véritable blason du corps féminin.
"L'histoire" en est
elliptique. Il y est question d'une petite prostituée campagnarde, qui s'est
fait gruger par les fermiers et les hommes d’affaires. La Dame aux Yeux Tristes
est une personne doucement malheureuse... On dirait une statue de la Vierge,
promenée au cours de processions votives.
Malgré son titre enchanteur et
mélancolique, c’est aussi un "protest song" cryptée. Ce n'est
pas seulement une belle ballade nostalgique. La loi de la jungle y règne. C’est
un thème omniprésent chez l’auteur, même dans ses plus douces chansons.
Cette "Lady" est un
personnage cyclothimique. Si son regard est triste elle peut aussi faire preuve
d'un enthousiasme enfantin ("childhood flames"). Il y a un côté
mélo : des draps froids comme du métal, une rue à putes, un mari volage,
de couverture de la presse "people"…
Le conteur dresse un bilan négatif du
passé de cette femme. Un beau paradoxe : "Ton visage de sainte et ton
âme de fantôme"... Elle a connu bien des malheurs…On ne sait pas ce qui
lui est arrivé au juste. "Dead angels", est-ce une image liée à la
drogue ou à l'avortement ? Les fermiers et les hommes d'affaires l'ont-ils
transformée en junkie ? Est-ce l'histoire d'une déchéance ou les mésaventures
d'une fille qui n'a pas eu de chance ? On retient surtout sa parure,
fascinante, ses vêtements de couvre-feu, ses fichus de bohémienne aux couleurs
indécises.
Dylan tombe souvent amoureux des
victimes. Il a l’air rude comme ça, le regard incisif et tranchant, mais son
cœur est plein de compassion.
(...)
Extrait de mon Dictionnaire Dylan, au Camion blanc éd.
jeudi 6 août 2015
Dylan. Tarantula.
Tarantula
Le premier ouvrage de Dylan. Une
erreur. Se contenter de le feuilleter. A sa décharge, Tarantula est une œuvre de commande, rien de plus. D'une façon
imprudente, Dylan s'était engagé auprès d'un éditeur new yorkais à lui fournir
un volume de poésie. Il dut l'écrire dans l'urgence pour honorer son contrat,
mais le résultat fut catastrophique. C'est du sous-Dylan.
Tarantula
tient à la fois de la satire sociale, du surréalisme tardif, de l'écriture
automatique, sûrement du cut-up aussi, mais contrairement aux chansons de Bringing It All Back Home, Highway 61 ou
Blonde on Blonde, la mayonnaise ne
prend presque JAMAIS. Dylan à la traîne de Burroughs ou de Ginsberg, en
épigone, on a un peu honte pour lui. Cette œuvrette, même pas drôle, a vraiment
été composée à la va-vite. On dit que Dylan ne lui attache aucune importance.
Ouvrage sans inspiration. Œuvre mineure.
Bric-à-brac indigne, néanmoins constamment réédité... Traduit en français par
Dashiell Hédayat (au fond de sa Chrysler rose ?).
L'un des seuls intérêts de l'ouvrage,
ce sont quelques coq-à-l'âne, comme dans les Epîtres de Clément Marot.
dimanche 2 août 2015
Dire Straits et Mark Knopfler. L'énigme de Napoleon in rags.
Dire
Straits et Mark Knopfler
Dire
Straits
Dire Straits, c'est le
groupe de Mark Knopfler, guitariste et chanteur écossais, né à Glasgow en 1949.
Il a grandi à Newcastle, qu'il évoquera brièvement dans "Sailing To Philadelphia" et dans "Fare
Thee Well Northumberland". Mais c'est aussi la
formation de son frère David (jusqu'en 1980), du grand John Illsley à la basse,
et de Pick Withers à la batterie (du moins, jusqu'en 1982).
Je n'ai présenté que
quelques chansons, les plus emblématiques de ce groupe dit de "pub
rock", mais on verra qu'il s'agit parfois de tout autre chose. Cet article
n'a rien d'exhaustif. Je me suis contenté de piocher dans la riche discographie
de Dire Straits puis dans la carrière solo de Mark Knopfler. J'ai voulu lui
rendre hommage : il nous a tant apporté.
1978
Sur le premier album, sorti en
juillet 1978, "Sultans Of Swing" évoque des musiciens de jazz qui
jouent et se défoulent le vendredi soir. Ils se font exploiter toute la
semaine, mais le vendredi, c'est leur jour de gloire. Ils peuvent jouer enfin
la Musique qui leur plaît, se donner à fond. Ils ne cherchent ni la célébrité ni
la gloire. Ils ont su rester modestes, ce sont des purs, d'authentiques
musiciens. Il y a une bande de jeunes qui traînent dans le coin, ils portent
des tenues plutôt glamour, des "platform soles" comme en avait Marc
Bolan. Ils détestent les groupes à trompettes : "They don't give a damn about
any trumpet playing band." Sur ce morceau inaugural, quasi génial, quasi mythique,
d'une haute tenue, d'une grande portée, le jeu de Mark Knopfler est d'une telle
dextérité qu'il en est bluffant, époustouflant. Et ce n'est jamais, jamais, jamais
une virtuosité pénible, ni de mauvais aloi, comme celle dans laquelle se
complaisaient parfois les Alvin Lee et consorts, ces solos interminables qui
duraient des plombes et de plombes, qui n'en finissaient pas, et qui ont gâché
tant de festivals, lassé tant d'auditeurs. Chez Dire Straits, le feeling est
toujours là, présent dans chaque note, dans chaque soupir. La guitare respire
et semble vivre sa propre vie. C'est comme une sorte d'entité. Cette musique
relève parfois de la magie. Mark Knopler est passé maître à ce jeu-là. C'est
bien simple, on n'avait pas entendu un tel guitariste depuis l'époque des Jimi
Hendrix, Eric Clapton, Jimmy Page. Comme le disait George Harrison :
"While My Guitar Gently Weeps", et le morceau des Beatles pouvait
sembler prémonitoire… Je ne sais pas ce que le Quiet Beatle pensait de Mark Knopfler,
mais, à mon avis, il devait l'apprécier à sa juste valeur… En
1978, Mark avait alors 29 ans.
Sur "Water of Love" la
solitude est comparée à un désert où l'on meurt de soif. La métaphore est
filée, avec l'image du vautour : "Il y a un oiseau tout en haut d'un
arbre, / Il attend que je meure."
Dans "Setting Me Up" la femme est une manipulatrice, - une
image très répandue dans le blues et dans le rock, où les songwriters sont soit
méfiants, soit misogynes.
1979
Sur Communiqué, en juin 1979, "Lady Writer" oppose deux
personnages, une femme-écrivain, vue à la télé, et la femme qu'aime l'énonciateur. L'une est une érudite ; l'autre, une
illettrée, elle sait à peine écrire son nom ("You couldn't hardly write
your name"). L'énonciateur évoque aussi son propre dépucelage, mais en
termes choisis, ce qu'il appelle la perte de l'innocence : "And I recall
my fall from grace". Cette initiation sexuelle a eu lieu il y a bien
longtemps. Les circonstances en restent floues, l'évocation plus que sommaire
("Another time, another place") mais ce rappel s'impose à l'esprit,
obsédant : ces vers constituent le refrain de cette chanson si prenante. Dans
"Lady Writer", Knopfler s'affirme comme un auteur de choix et
découvre une dimension qui manquait peut-être au génial "Sultans Of
Swing" : l'écriture, le songwriting. Qu'on le veuille ou non, le texte de
la "Femme-écrivain" a quelque chose de dylanien avec ses ambiguïtés,
ces deux femmes que tout oppose, que l'énonciateur aime autant l'une que
l'autre, un sacré dilemme pour lui. Là encore la guitare s'emballe comme un pur-sang,
et cela ravit. Et puis il y a ce phrasé dylanien que l'on a souvent remarqué.
En 1979, Mark va fêter son trentième anniversaire.
"Once Upon A Time In The
West" ne parle pas des cowboys comme son titre pourrait le faire croire,
mais des chauffards, des fous du volant. Certains s'amusent à dépasser la
limite de vitesse, à faire les cons, à effrayer les passants…
1980
Sur Making Movies, en 1980, "Tunnel
Of Love" présente la vie comme une fête foraine qui nous ballotte dans
tous les sens, - une conception un peu baroque de l'existence. "J'ai
voyagé dans un train fantôme dont les wagons hurlent et s'entrechoquent"
("And I've been riding on a ghost train"). L'énonciateur se dit "victime
de la nuit", tout comme celle qu'il aime. Le narrateur est un joueur
invétéré, semble-t-il, esclave du "bandit manchot". Une machine à
sous ornera la pochette d'un CD solo, vingt-quatre ans plus tard…
Quant à "Romeo And Juliet",
sur le même album, c'est une relecture un peu fade de la pièce de Shakespeare.
1982
Sur Love Over Gold, en septembre 1982, "Private
Investigations", "Enquêtes privées", met en scène un détective
qui remue la saleté, les affaires les plus glauques ("digging up the
dirt"). C'est pour lui un travail, mais c'est aussi un jeu.
"Telegraph Road" nous montre
comment un paysage s'urbanise peu à peu, jusqu'à en devenir totalement
méconnaissable. "Puis vinrent les églises, ensuite les écoles, / Puis
arrivèrent les magistrats ainsi que les lois, / Les trains, les camions de
marchandises, / Et le vieux sentier fangeux devint la Route du Télégraphe
("And the dirty old track was the Telegraph Road").
1983
Sur un EP, en 1983, Il y a "Twistin'
By The Pool" – Les membres de Dire Straits ont voulu réhabiliter cette
danse, mais cela a été en vain, son heure était passée. Dans le clip, des
figurants twistent sur un plongeoir. On assiste à une sorte de ballet
aquatique, au premier ou au second degré.
Sur Infidels de Bob Dylan, toujours en 1983, il y a « Sweetheart
Like You », avec Mark Knopfler, cette fois derrière les consoles. Dylan
avait été charmé par le son de "Sultans Of Swing". Cela lui avait
rappelé sa bonne période (1965 -1966).
"Sweeheart Like You" c'est une de ses meilleures chansons de
l’époque. "Enfin le stress est retombé, / Le patron n'est pas là, / Il est parti dans le Nord pour quelque
temps, / On dit que c'est avant tout un vaniteux (…) Mais qu'est-ce qu'une
belle fille comme toi fait dans ce trou à rat ?"
Mark
Knopfler a été l'un des meilleurs producteurs de Dylan, toutes époques
confondues, avec Don Devito (« Changing of the Guards ») et Daniel
Lanois. On lui doit « Jokerman »
et le magnifique « Sweet Heart Like You », où le grand Mick Taylor
joue avec tout son feeling et sa fluidité légendaire. Et puis cet orgue qui
rampe à l’arrière-plan, c’est génial… C’est peut-être digne de Blonde On Blonde. Mark avait alors 34
ans, et Bob, 42.
C'était encore Mark Knopfler qui avait
remis Dylan en selle ou plutôt sur les rails, quelques années auparavant, sur
l'album Slow Train Coming. Un
« son » caractérisé par ce qu'on pourrait appeler la ligne claire,
comme on dit dans la BD, pour lui donner un équivalent graphique. Une guitare
nette, limpide et fluide, servant fort bien la sobriété du chant, tout en en
atténuant l'éventuelle sécheresse.
1985
Sur Brothers In Arms, en mai 1985, "Money For Nothing" se
moque des musiciens qui choisissent la facilité, qui gâchent et galvaudent leur
talent en faisant de la variété, des choses faciles, parfois insipides. Ils
cartonnent dans les hits parades ou dans les Top 50, mais ce sont des faiseurs.
John Lennon avait déjà dénoncé ce genre de travers sur l'album Imagine, ces gens qui confondaient la
"musak" et la musique : Lennon ne comprenait pas comment ils
arrivaient à dormir, comment ils faisaient pour ne pas se culpabiliser.
"How Do You Sleep ?" On se souvient qu'il s'en était pris à ce pauvre
McCartney, à une époque où leurs rapports n'étaient pas des meilleurs.
1991
Sur On Every Street, en 1991, un album que beaucoup jugent décevant, "Calling
Elvis" se détache du lot. C'est un hommage au King, multipliant les
références, les citations. L'énonciateur demeure à l'hôtel des cœurs brisés
(pas besoin de vous faire un dessin). "Oh love me tender, don't
be cruel, / Return to sender, treat me like a fool". A la fois un hommage et un clin
d'oeil. Mark vient d'avoir 42 ans.
Le groupe s'est séparé en 1993. Mark
Knopfler a poursuivi une riche carrière solo, dont on ne parle pas assez.
Carrière
solo
1990
Chet Atkins et Mark Knopfler enregistrent Neck And Neck.
Chet Atkins, ce n'est pas n'importe qui. C'est un
grand guitariste, une sorte de père spirituel, de modèle ou de mentor pour Mark
Knopfler.
"Just One Time" est une
chanson d'amour perdu (comme il y en a tant). Le narrateur voudrait revenir en
arrière ("Turn back the pages") et retrouver son vieil amour,
"that same old love".
Les paroles de "The Next Time
I'm In Town" ("La prochaine fois que je serai en ville")
évoquent de vieux succès de Simon & Garfunkel. Quand on entend "Cross
the Bridge of Time and Change / Once again I'm homeward bound", "A
travers le Pont du Temps et du Changement, à nouveau je rentre à la
maison", comment ne pas penser à "Bridge Over Troubled Water"
(1970) et à "Homeward Bound" (sur Parsley,
Sage, Rosemary And Thyme, en 1966), deux succès du célèbre duo ? Encore un
clin d'œil et un hommage à d'autres musiciens et chanteurs.
Atkins et
Knopfler interprètent également "Tears", un classique
du jazz manouche, signé Stéphane Grappelli et Django
Reinhardt.
1996
L'énigme de
"Napoleon in rags"
Sur Golden Heart, en 1996, il y a "Done With Bonaparte", dont
le texte est magnifique et marquant. C'est un soldat de la Grande Armée qui s'exprime.
Il est vêtu de guenilles et a perdu ses illusions. On songe bien sûr à Victor
Hugo : "Hier la Grande Armée et maintenant troupeau." Le narrateur de
"Done With Bonaparte" rappelle certains épisodes de la Retraite de
Russie : "We've paid in hell since Moscow burned" ("Nous avons
vécu l'enfer depuis l'incendie de Moscou"). Les soldats ennemis s'acharnent
sur les survivants qui tentent de regagner leur pays, leur patrie : "Les
cosaques nous mettent en pièces". Les soldats français ne peuvent même pas
enterrer les cadavres de leurs compagnons : "Our dead are strewn a hundred
leagues" ("Nos morts sont éparpillés sur une centaine de
lieues"). La Grande Armée n'est plus qu'un bande de gueux : "And our
grande army is dressed in rags" ("Et notre Grande Armée est vêtue de
haillons").
Mark Knopfler ne connaît
vraisemblablement pas "L'Expiation" de Victor Hugo, l'un des sommets
des Châtiments (1856) où la Retraite
de Russie est évoquée d'une façon si pathétique. En revanche, il connaît Dylan,
il s'en est nourri, il a travaillé avec lui. Mark Knopfler a en tête la fameuse
périphrase de "Like a Rolling Stone" (1965) désignant superbement un clochard qui n'a rien
perdu de son prestige ni de sa dignité : "Napoleon in rags". Dylan se moque, avec âpreté et amertume, d'une fille méprisante, à présent
tombée dans le ruisseau : "You used to be so amused / At Napoleon in rags and the language that he
used, / Go to him now, he calls you, you can't refuse, / When you ain't got
nothing, you got nothing to lose". Soit : "Tu avais l'habitude de
te moquer / Du Napoléon en haillons et de sa façon de parler, / Va vers lui
maintenant, il t'appelle, tu ne peux pas refuser, / Quand on n'a plus rien, on
n'a plus rien à perdre"). La mystérieuse périphrase de Dylan ("Napoleon
in rags") vient certainement des paraphrases anglaises et américaines du
poème de Victor Hugo, ou tout simplement de certaines traductions des Châtiments, que Dylan a pu connaître.
Le narrateur de "Done With
Bonaparte" continue la série de ses malheurs et de son odyssée au déclin
du Premier Empire : les grognards vaincus sont obligés de voler "comme des
rats" les autres soldats pour pouvoir survivre : "Like rats we steal
each other's scraps". Bonaparte n'était qu'un marchand d'illusions, il
aurait pu emmener ses soldats au bout du monde. On a eu tort de le suivre :
"What dreams he made for us to dream, / Spanish skies, Egyptian
sands", "Quels rêves il nous a donnés, les cieux d'Espagne, les
sables d'Egypte". Le narrateur n'est pas revenu indemne de toutes ces péripéties,
de toutes ces campagnes, de toutes ces batailles : "And I lost an eye at
Austerlitz", "Et j'ai perdu un œil à Austerlitz". Sa blessure -
un sale coup de sabre - le fait toujours souffrir : "The sabre slash yet
gives me pain." Pour lui maintenant, la page est définitivement tournée :
"Done with Bonaparte", "J'en ai fini avec Bonaparte." Tout
ce qu'il est espère, c'est revenir indemne : "A safe return to my belle
France". C'est une prière, un hymne pacifiste plus qu'une chanson d'ancien
combattant : le narrateur prie pour que son fils ne voie jamais un nouveau
petit caporal se dresser au-dessus de la mêlée pour conquérir de nouvelles
terres : "And I pray our child will never see / A little Corporal again /
Point toward a foreign shore / Captivate the hearts of men." Bref, la
Grande Armée est, pourrait-on dire, in
dire straits, dans une situation
désastreuse, en pleine débâcle. C'est carrément la Bérézina !
2000
"Sailing To Philadelphia"
(avec James Taylor), c'est le portrait d'un rêveur : "Il semble que je
sois né pour dresser une carte du ciel nocturne". C'est aussi une chanson
d'émigrés : "Nous naviguons vers Philadelphia, un monde loin de la Tyne
charbonneuse" ("A world away from the coaly Tyne"). La Tyne,
c'est un fleuve qui passe à Newcastle et se jette dans la Mer du Nord. Mark
Knopfler, on l'a vu, est d'origine écossaise, il est né à Glasgow, mais il a
passé son enfance à Newcastle, une ville pas très gaie du Nord de l'Angleterre.
- Newcastle, comme Sting.
2002
Sur l'album Ragpicker's Dream, "Fare Thee Well Northumberland"
reprend et développe le thème nostalgique amorcé sur "Sailing To
Philadelphia" : Mark Knopfler dans son "Adieu au Northumberland"
évoque la région où il a passé son enfance et sa jeunesse : "Mon cœur bat
pour les rues et les sentiers, / Et rêve de rester près de la frontière, / La
côte nord-est et les vallées de la rivière". Il déteste quitter la Tyne qui arrose
Newcastle, c'est sa rivière ("I hate to leave my river Tyne"). Toutes
les autres villes, Philadelphie, Londres ou New York, lui font l'effet de ces
villes maudites dont on parle dans la Bible, Sodome ou Gomorrhe, sur lesquelles
Jehovah a envoyé une pluie de feu : " I hate to leave my rive Thyne / For
some damn town that's God-forsaken", "quelque ville maudite que Dieu
a délaissée". Le chanteur semble également maudire les tournées qui
l'envoient loin de chez lui : "I'm bound to ramble and to roam", il
se voit comme un errant, une sorte de vagabond. Peut-être une pierre qui roule
?...
"Coyote" est une chanson
de fugitif. Le narrateur est poursuivi par un "coyote" qui va bien
moins vite que lui. Il s'agit aussi d'une chanson référentielle, avec des
fragments de phrases qui renvoient soit au Traffic de Steve Winwood ("a
hole in my shoe", "un trou dans ma chaussure") soit à Dylan
("blood on the tracks", "du sang sur les pistes").
2004
Sur Shangri-La, "Postcards From Paraguay" est encore une
chanson de fugitif mais le contexte est différent : le narrateur a émis des
chèques en bois, fait un "casse". Il a dû fuir son pays pour échapper
aux conséquences. C’est pourquoi il n'enverra pas de cartes postales d'Amérique
du Sud, où il s'est réfugié. Pas question que l'on retrouve sa trace
2006
Sur "This Is Us" (album All The Roadrunning), un couple regarde
de vieilles photos et se rappelle les bons souvenirs liés à ces anciens
clichés, le premier rendez-vous, le voyage de noces, leur petit garçon qui fait
leur "joie" et leur "fierté", l'anniversaire du mariage
avec tous leurs amis : "C'est nous lors du Mardi Gras, / C'est nous dans
la caisse de ton papa", "C'est nous pendant notre Lune de Miel, /
dans la chambre de l'hôtel, / Assis près du Puits aux Souhaits". Mark
Knopfler y confirme son penchant nostalgique, voire passéiste. Les années ont
passé, le guitariste a déjà 57 ans quand il enregistre cette chanson en duo
avec Emmylou Harris. Ce n'est plus vraiment un tout jeune homme.
Sur cet album, Mark Knopfler interprète
d'autres titres avec la chanteuse country, "Right Now" et "This
Is Goodbye".
2009
Sur "Border Reiver" (album
Get Lucky), le chanteur se met dans
la peau d'un conducteur de poids lourd, un Ecossais de Glasgow. Il évoque sa
vie à bord d'un engin qui n'est plus tout jeune. Le camion a bien trois cent
mille km au compteur et encore plein d'autres à faire ("Three hundred
thousand on the clock / And plenty more to go")
2012
"Haul Away" (album Privateering) est une chanson sinistre
qui évoque le suicide d'une femme : elle s'est noyée. C'était quelqu'un
d'instable, de déséquilibré. Elle s'est jetée dans la mer "noire et
profonde". Ce n'est pas un accident, le vent ne soufflait pas ce soir-là,
elle n'a pas pu tomber du navire par inadvertance, "It was a windless
night when you leave the ship", "C'était une nuit sans vent quand tu
as quitté le bateau". On est loin de la "deep blue sea" des
chansons traditionnelles. Sur "Haul Away" les paroles lugubres vous
glacent vous plombent un peu, comme cet ancien titre des Rolling Stones :
"Sympathy For The Devil". Rien que le titre faisaitt froid dans le
dos…
Mais, pour en revenir aux grandes
chansons de Dire Straits, j'ai gardé le meilleur pour la fin : pour moi, la
plus prestigieuse, c'est "Brothers In Arms", dont on ne dira jamais
assez de bien. C'est une de mes chansons préférées, avec "Big Log" de
Robert Plant et quelques-unes de Dylan, des Stones, des Kinks et, bien sûr, des
Beatles. Les paroles des "Frères d'Armes" évoquent justement à la
fois Led Zeppelin et Bob Dylan, avec ses "montagnes couvertes de
brumes" et ses "basses terres". Il est question de militaires,
enfin de conscrits, pas des militaires de carrière, puisqu'on nous dit qu'un
jour ils retourneront dans leurs vallées et dans leurs fermes et qu'ils ne
seront plus frères d'armes. C'est une très belle chanson de fraternité, de solidarité,
mais aussi d'incommunicabilité : "Il y a tellement de mondes différents, /
Tant de soleils divers, / Et nous n'avons qu'une seule planète, / Mais nous
vivons dans des mondes séparés." On dit que Mark Knopfler est un grand
guitariste, c'est la vérité, qui oserait le contester ? Mais c'est aussi un
grand chanteur, dont la voix fait passer bien des émotions, bien des sentiments,
bien des frissons. "Brothers In Arms" est une chanson pacifiste
pleine de sagesse, peut-être un peu baba cool mais au sens noble du terme :
"Tous les hommes doivent mourir, / Mais il est écrit dans les étoiles / Et
dans chaque ligne de ta main / Que nous sommes fous de faire la guerre / A nos
frères d'armes". On croit comprendre qu'il s'agit de nos anciens frères
d'armes, de ceux qui ont combattu autrefois avec nous. Il y a tellement de
feeling dans cette chanson que c'est peut-être l'un des plus grands blues du
XXème siècle. Moi je veux bien qu'on appelle la musique de Dire Straits du "pub
rock" ou je ne sais quoi, vous savez, les étiquettes, pfftt…quelle
dérision. N'empêche que, quand on me demande quel est mon bluesman préféré, je
ne réponds ni John Mayall, ni Jimmy Page, ni Untel, je réponds : Mark Knopfler.
C'est l'évidence même.
Discographie
de Dire Straits
Dire Straits (1978)
Une photo
floue sur la pochette.
Titres
: Down To The Waterline - Water Of Love - Setting
Me Up - Six Blade Knife
- Southbound Again - Sultans of Swing - In The Gallery - Wild West End - Lions.
Musiciens : Mark Knopfler au chant et aux guitares ; David
Knopfler, à la guitare rythmique ; John Illsley, à la basse ; Pick Withers, aux
percussions.
Communiqué (1979)
Titres : Once Upon a Time in the West - News - Where Do You Think You're Going? - Communiqué - Lady Writer - Angel of Mercy - Portobello Belle - Single-Handed Sailor
Musiciens :
les mêmes que sur le premier album.
Making Movies (1981)
Une pochette entièrement rouge
Titres : Tunnel of Love - Romeo and Juliet - Skateaway - Expresso - Love Hand in Hand - Solid Rock - Les Boys
Musiciens crédités : Mark Knopfler :
chant, guitares ; John Illsley : basse et chant; Pick Withers :
batterie ; Roy Bittan:
claviers. Exit David Knopfler qui aurait pourtant participé à l'enregistrement.
Love Over
Gold (1982)
Un éclair zébrant un ciel d'orage, sur la pochette.
Titres : Telegraph Road - Private Investigations - Industrial Disease - Love Over Gold - It Never Rains.
Musiciens :Mark Knopfler ; Hal Lindes :
guitare ; Alan Clark :
claviers ; John Illsley :
basse ; Pick Withers :
percussions ; Mike Mainieri :
vibraphone ; Ed Walsh : synthés.
ExtendedancEPlay (1983)
Titres : Twisting by the Pool - Two Young Lovers - If I Had You - Badges, Posters, Stickers, T-Shirts.
Alchemy (un double album live)
Des versions
à rallonge de leurs titres les plus célèbres.
Au
programme : Once Upon a Time in the West - Expresso Love - Romeo and
Juliet - Love
Over Gold - Private
Investigations - Sultans of Swing - Two Young Lovers - Tunnel of Love - Telegraph Road - Solid
Rock - Going Home - Theme from
"Local Hero" (voir la discographie solo de Mark, un peu plus bas).
Brothers in Arms (1985)
Sur la
pochette, une steel guitar, prise en contre-plongée.
Titres : So Far Away - Money for Nothing - Walk of Life - Your Latest Trick - Why Worry - Ride Across the River - The Man's Too Strong - One World - ;
Musiciens : Mark Knopfler . John Illsley ; Alan Clark (divers
claviers) ; Guy Fletcher (autres
claviers) ; Terry
Williams (percussions). Sans oublier Sting au
chant, sur "Money For Nothing".
On Every Street (début
1991)
Titres : Calling Elvis - On Every Street - When It Comes to You - Fade to Black - The Bug - You and Your Friend - Heavy Fuel - Iron Hand - Ticket to Heaven - My Parties - Planet of New Orleans - How Long.
Musiciens :
pratiquement les mêmes, sauf le batteur (Danny Cummings).
Live at the BBC (1995)
Down to the Waterline - Six
Blade Knife - Water of Love - Wild West End - Sultans of Swing - Lions - What's
the Matter Baby? - Tunnel of Love
La carrière solo de Mark Knopfler :
la discographie.
Local Hero (1983)
B.O. du film
du même nom (et non pas "éponyme", comme diraient les cuistres).
The Rocks and the Water - Wild
Theme - Freeway Flyer - Boomtown - The Way It Always Starts - The Rocks and the
Thunder - The Ceilidh and the Northern Lights - The Mist Covered Mountains -
The Ceilidh: Louis' Favourite / Billy's Tune - Whistle Theme - Smooching -
Stargazer - Going Home: Theme of the Local Hero.
Notting Hillbillies. Missing…
Presuming having a good time (1990)
Un album sur
lequel on trouve des compositions originales mais aussi pas mal de reprises de
vieilles chansons d'autrefois.
Railroad Worksong"
(traditionnel) – Bewildered - Your Own
Sweet Way - Run Me Down" (traditionnel) - One Way Gal" (encore un traditionnel)
- Blues Stay Away From Me - Will You Miss Me- Please Baby (traditionnel) –
Weapon of Prayer - That's Where I Belong - Feel Like Going Home.
Neck And Neck (1990)
Avec Chet Atkins.
Poor
Boy blues - Sweet Dreams - There'll Be Some Changes - Just One Time - So
Soft, Your Goodbye– Yakety Axe -
Tears - Tahitian Skies - I'll
See You in My Dreams - The Next
Time I'm in Town.
Screenplaying (compilation, 1993)
Golden Heart (début
1996)
Darling Pretty - Imelda - Golden Heart No Can Do -
Vic and Ray - Don't You Get
It A Night in Summer Long Ago – Cannibals - I'm the Fool – Je Suis
Désolé - Rüdiger - Nobody's
Got the Gun - Done With
Bonaparte - Are We in Trouble Now
Lullabies With a Difference (fin 1998)
Truthful Lullaby - Dreaming
My Dreams - Window World - Willow
- Etude No. 53 - My Boy - Baby Little One - In Your Eyes -
Wild Theme - Cherry Blossom - Let's Stay Together
Sailing to
Philadelphia (début
2000)
La pochette
représente un avion volant dans un ciel très bleu. L'avion n'est pas centré.
Cet album se
décline en plusieurs versions. En voici l'américaine :
What It Is - Sailing to Phildelphia - Who's Your Baby Now - Baloney Again - The Last Laugh - Do America
- El Macho - Prairie Wedding - Wanderlust – Speedway At
Nazareth - Junkie Doll - Silvertone
Blues - Sands of Nevada.
The Ragpicker's Dream (début 2002)
Why Aye Man - Devil Baby
- Hill Farmer's
Blues - A Place Where We Used to Live - Quality
Shoe - Fare Thee Well Northumberland - Marbletown - You
Don't Know You're Born - Coyote - The Ragpicker's Dream - Daddy's
Gone to Knoxville - Old Pigweed
Shangri-La (2004)
La pochette
représente un "bandit manchot"
5:15 am - Boom, Like
That - Sucker Row - The Trawlerman's Song - Back to Tupelo - Our Shanri-La - Everybody Pays - Song for Sonny Liston - Whoop De Doo – Postcards From
Paraguay - All That Matters Stand Up Gay
- Donegan's Gone - Don't Crash
the Ambulance - What It Is El Macho
All the Roadrunning (2006)
En duo avec
Emmylou Harris.
Beachcombing- I Dug Up a Diamond - This Is Us - Red Staggerwing - Rollin' On
- Love and Happiness Right - Now Donkey Town
- Belle Starr Beyond - My
Wildest Dreams - All the
Roadrunning - If This Is Goodbye
Real Live Roadrunning (live de
2006)
Right Now - Red
Staggerwing - Red Dirt Girl - Done
With Bonaparte - Romeo and Juliet
- All That Matters - This
Is Us - All the Roadrunning - Boulder to Birmingham - Speedway at Nazareth - So Far Away - Our Shangri-La - If This Is Goodbye - Why Worry.
Kill To Get Crimson (2007)
True Love Will Never Fade - The Scaffolder's Wife - The Fizzy and the Still - Heart Full of Holes - We Can Get Wild - Secondary Waltz – Punish The
Monkey - Let It All Go - Behind With the Rent - The Fish and the Bird - Madame Geneva's – In The Sky.
Get Lucky (2009)
Border Reiver - Hard Shoulder - You Can't Beat the House - Before Gas and TV - Monteleone - Cleaning My Gun - The Car Was the One - Remembrance Day - Get Lucky - So Far From the Clyde - Piper to the End
Privateering (2012)
CD 1. Redbud Tree - Haul Away - Don't Forget Your Hat
- Privateering - Miss You Blues - Corned Beef City - Go, Love - Hot or What -
Yon Two Crows - Seattle 4:17
CD2. Kingdom of Gold - Got To Have Something - Radio
City Serenade - I Used to Could -Gator Blood - Bluebird - Dream of the Drowned
Submariner - Blood and Water - Today Is Okay - After the Beanstalk
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