Incredible String Band. Rééditions Orkhestra.
The First album (1966)
**
The 5 000 Spirits or
The Layers Of The Onion (1967) ***
The Hangman’s
Beautiful Daughter (1968) ***
Wee Tam & The Big
Huge (1968) ***
On réédite en digipack quatre
albums de l’ISB, remasterisés et supervisés par Joe Boyd.
Au début, les musiciens ne sont que
trois. Ils ont l’air de vagabonds, de beatniks ou d’étudiants fauchés. Clive
Palmer porte un costume trop grand pour lui, une casquette à visière. Robin
Williamson ressemble à un poète du XIXème siècle avec son gros manteau brunâtre
et sa barbiche de Verlaine écossais. L’accoutrement de Mike Heron ne vaut guère
mieux : un étrange manteau de fourrure qu’il a dû trouver dans la
garde-robe de grand-mère. Sur d’autres photos, il arbore déjà un look
pré-hippie, avec pantalon à fleurs et tunique orange à la Donovan… « Maybe
someday » sonne très celtique, « October Song » aussi. D’ailleurs, il
y au moins trois traditionnels sur les seize morceaux de ce premier album, dont
une gigue, « Schaeffer’s Jig », qui annonce l’ouverture magistrale de
U. « Womankind » semble une
chanson d’amour plutôt désabusée. Sur « The Tree », la voix de Mike
Heron louche un peu du côté de Dylan, la grande référence de l’époque.
« Dandelion Blues » n’a rien à voir avec les fleurs et ce n’est pas
un blues. Comme Lennon et McCartney, Heron et Williamson ont l’air
complémentaires, yin et yang, comme une seule médaille avec un avers et un
revers. « Empty Pocket Blues » est une des rares chansons écrites par
Clive Palmer, qui quittera bientôt le groupe, n’y trouvant plus sa place.
Les choses changent avec 5 000 Spirits, que certains ont
abusivement comparé à Sgt. Pepper. Certes, les deux albums sont sortis la même
année, mais sûrement pas dans la même galaxie… On ne sait pas si la pochette de
5 000 Spirits a été trempée dans l’acide comme un vieux
buvard, mais en tout cas, qu’est-ce qu’elle est kitsch ! Un dessin représentant
une sorte de dieu androgyne ou bicéphale, un
homme-jour et une femme-nuit. Au premier plan, des fleurs dont on voit
les bulbes. Une image qui ferait passer les vitrines de Their Satanic Majesty ou de Disraeli
Gears pour des modèles de sobriété…
5 000 Spirits, c’est le second opus de l’Incredible String Band.
Voilà un bien étrange CD, avec son livret surchargé et son titre mystique.
« Paintbox », la perle noire du disque, c’est une des rares chansons
hippies où le sitar est employé d’une façon satisfaisante, sans être
envahissant. Ce n’était le cas ni sur « Within You, Without You » de Sgt. Pepper, ni sur « Love You
To » de Revolver. La mélodie de
« Paintbox » est très intéressante : erratique, comme une
rhapsodie. C’est du niveau Syd Barrett ou Marc Bolan (les grands noms sont
lâchés). Un morceau très réussi et qui sent le patchouli.
« The Mad Hatter’s
Song » commence comme un raga, se change en blues, puis revient au folk
psyché : de quoi y perdre son latin. Mais il est question du personnage de
Lewis Carroll, alors tout s’explique…
Mike Heron nous fait ses
confidences, un peu mièvres : « Je ne suis pas du genre à me plaindre /
Mais je n’ai jamais trouvé de fille à aimer / Je n’ai peut-être pas assez bien cherché
/ Je m’étais assis un jour tout seul à l’écart / Quand cet amusant petit
hérisson a couru vers moi / Et a commencé à me chanter sa chanson » (The
Hedgehog’s Song »).
Sur « First Girl I Loved »,
Williamson se souvient de la première fille qu’il a aimée. « A présent, tu
es probablement mariée / Une maison, une bagnole, tout ça (…) Nous n’avons
jamais dormi ensemble / Bien que nous ayons fait l’amour des milliers de fois /
Car nous étions jeunes et nous n’avions nulle part où aller. » Des paroles
peace and (free) love. Un peu d’amertume aussi. « Sur des collines et à
côté de cours d’eau, tu as cueilli des fleurs / Mais elles n’avaient aucun parfum
pour moi. » Bon, on l’a compris, il n’était pas vraiment amoureux…
« Way Back in the
1960s » rend hommage à Bob Dylan, évoque une sauvage Troisième Guerre
Mondiale, un exil au Paraguay, et se passe après 2030… Le narrateur a alors 91
ans…
Il y a aussi l’inquiétant
« My Name Is Death. »
Toutes ces chansons sont
intéressantes, quoique étranges. Elles permettent de se faire du flower power
une image très différente de celle véhiculée par les médias. Incredible String
Band n’avait rien à voir avec les Flower Pot Men…
Leur vrai chef-d’œuvre, c’est
peut-être The Hangman’s Beautiful
Daughter. Sur le livret ils sont habillés en bergers d’Alphonse Daudet, et
au verso on les voit avec toute leur tribu ou leur communauté dans un bois. Mike Heron chante sur ses propres
compositions, joue du sitar, de l’orgue Hammond, de la guitare, du dulcimer
comme Brian Jones sur « Lady Jane », et du clavecin.
Robin Williamson chante lui aussi
sur ses propres compositions. Il joue de la guitare, des percussions, de la
flûte de Pan, de la mandoline, de l’harmonica, de la guimbarde et de divers
instruments exotiques, marocains ou indiens. Ils sont assistés par Dolly
Collins au piano, de David Snell à la harpe et de Licorice, la copine de
Williamson, au chant.
Certaines images relèvent d’un lyrisme
flower power encore très proche du romantisme.
« Cherry tree blossom head high
snow ». Les paroles sont souvent séduisantes. Encore faut-il
réussir à les capter… Sur la fascinante et si réussie « Koeeoaddi There »,
Robin Williamson nous fait entrer dans la confidence, égrène ses souvenirs
d’enfance où la réalité se mêle aux fantasmes, aux visions nocturnes :
« Né dans une maison aux portes trop bien fermées / Des doigts
obscurs sur les rideaux la nuit venue / La tête couverte de neige du
cerisier en fleurs / Une grand route passagère où je n’avais pas le droit
d’aller / Je m’asseyais sur le mur du jardin, disais bonjour aux gens qui
passaient et qui me semblaient si grands / Ohé au facteur à la barbe de trois
jours, ohé au boulanger au sourire commercial / Mrs. Thomson m’avait donné
un ours en peluche / Brigitte et d’autres personnes vivaient à l’étage
au-dessus. » Une mélodie et des paroles qui finalement rejoignent
l’univers délicieux et so british de Ray Davies ou le « Penny Lane »
des Beatles.
Ailleurs, un monde féerique où
chantent des coccinelles. « La chanson du Minotaure », signée Williamson,
se penche d’une façon caricaturale sur le personnage de la mythologie, sa vie
dans l’obscurité du labyrinthe. Il se plaint de ne pouvoir rêver à cause de ses
cornes…
42 ans plus tard, installé à
Cardiff, Robin Williamson se souvient de toute cette aventure. Il évoque ces
années enchantées, une mystérieuse boutique pleine d’instruments poussiéreux,
vers la Place de la Contrescarpe, rue Saint-Grégoire de Tours, à Paris, où il
avait acheté sa première mandoline. Mais il a fait l’acquisition d’autres
instruments sur les marchés d’Edinburgh, de Glasgow, de Dublin… Il s’habillait
chez Granny Takes A Trip… Il rend hommage à John Wood qui a été un pionnier de
l’enregistrement quatre pistes comme un explorateur d’océans inconnus. Il se
souvient aussi des clochettes, de l’odeur du patchouli, du Sahara, du pays de
Galles pluvieux, quand il a fait la route, de l’odeur des années d’autrefois,
des hivers enneigés en Ecosse…
La pochette de Wee Tam inspirera Marc Bolan : le
livret de Unicorn lui ressemble comme
deux gouttes d’eau. Robin arbore un chapeau de berger à la Brian Jones. On voit l’ISB sur scène en
68 au même programme que Bonzo Dog Band, Fairport Convention, Pretty Things ou
Family.
Sur Wee
Tam, “Log Cabin Home In The Sky” sonne western avec son harmonica et son
fiddle. Sur d’autres morceaux, c’est le sitar qui domine… Un joli
clavecin sur « You Get Brighter », un titre dans la veine de ce que
Mike Heron fera plus tard sur Smiling Men
With Bad Reputations, son premier disque solo, en 1971, que j’ai la chance
de posséder, introuvable à l’heure actuelle, aussi rare qu’une rime à
« Triomphe » (ou alors il y a bien « à donf » mais ce ne
serait qu’une cheville)… Les neuf minutes de « Maya » constituent le
morceau de choix de ce double album. On sent l’influence de Dylan et peut-être
de Bolan sur les paroles de « Lordly Nightshade » avec sa
galerie de personnages bizarres et son imaginaire débridé : « Captured by
Hitler with Oliver Twist in the tower ».
Sur une photo du livret, on voit
Williamson jouer de la guitare sèche, mais son poignet droit est embarrassé par
une multitude de colliers portés comme des bracelets… Ce n’est guère pratique de
jouer de la guitare dans ces conditions, mais ces vieux hippies-là sont restés
très sympa et on les retrouve vraiment avec plaisir !…
Jérôme Pintoux
20.6.2010
A ranger à côté de Liquid Acrobat
et du génial « Dear Old Battlefield ».
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