Pour une anthologie
idéale de Neil Young
Il y a longtemps, je ne
sais où, je ne sais quand…
Depuis des années, Neil Young nous promet une
anthologie. Mais elle ne vient pas. Alors j'ai décidé de prendre le taureau par
les cornes, ou du moins le buffalo.
Quand était-ce donc, la première fois que j’ai
entendu le "Loner" ? Je ne sais plus... C’était il y a si longtemps, je ne sais où,
je ne sais quand… "Long ago, somewhere, I don’t know when"… Durant
des années Neil Young a traîné une image de junky asocial, alors que cette dure
période n’a guère excédé une année. Il s’en est sorti en voyant ses amis périr
d’O.D. Puis le « loner » l’a emporté sur le « loser ». On a cru déceler une
sorte d’autoportrait dans la chanson quoi porte ce titre, alors qu’il y évoque
Stephen Stills, son ancien compagnon d’infortune et d'épopée, son vieux
complice du Buffalo Springfield. Jeune, Neil avait quelque chose d’ombrageux,
de taciturne, de sauvage même, comme un cheval quinteux, un "crazy
horse". Il a appris à sourire, tout en gardant toujours son « quant à
soi », sa réserve légendaire.
Si je devais sélectionner les meilleures chansons
de NY, je garderais tout le premier album. En particulier Such A Long Time Gone (I've Been Waiting For You),
avec ce solo de guitare tortueux, qui se greffe directement sur le cervelet. J'aime
beaucoup également Emperor of Wyoming, l'instrumental qui ouvre cet album quasi
parfait.
The Loner
"C’est le parfait étranger, comme un croisement
de lui-même et d’un renard. Assis tout au fond du dernier wagon du métro il
vous voit venir et vous dévisage de son œil inquisiteur…". Dans d'autres
chansons, Neil Young reparlera de la solitude, dont il a parfois une vision
négative : "Bad fog of loneliness", "mauvais brouillard de
solitude".
Everybody Knows This Is Nowhere (with Crazy Horse)
Sur le deuxième LP (1969), enregistré avec le Cheval
Fou dans les conditions du live, brut de brut, je garderais :
Cowgirl in the Sand
"Hello, ruby in the dust", "Salut,
diamant dans sa gangue". Car « rubis dans la poussière » serait beaucoup
trop littéral. Il faut transposer. Une pierre précieuse dans un sac de cailloux
"It’s the woman in you that makes you want to play this game",
"C’est ton côté féminin qui te rend si joueuse".
Nubile
«
Old enough now to change your name »
Mais la version acoustique de Four Way Street, de C.S.N
and Y. est fort enthousiasmante également.
After the
Goldrush
(1970)
Dans ce florilège idéal, je garderais toute la
première face d’After The Goldrush. Cet album n’aurait pu être qu’une
collection de petites chansons pop réussies, et seulement cela. Mais on y
trouve heureusement des morceaux plus ambitieux : Southern Man, où
apparaît le vrai Neil Young, avec ses solos torturés. Une allusion à la Bible , sous forme de
périphrase élogieuse : " Don’t forget what your Good Book said".
J'aime bien aussi la chanson éponyme et son texte
onirique : "Je repensais à ce qu’un ami m’avait dit Et j’espérais qu’il
avait menti". Neil Young est plutôt laconique. L’auditeur n’en saura pas
plus… "Well I dreamed I saw the knights in armor comin' Sayin' something
about a queen", "J’ai rêvé que des chevaliers en armure arrivaient Et
(qu’) ils disaient quelque chose au sujet d’une reine". "J’ai rêvé
que je voyais un vaisseau spatial métallisé Volant dans la vapeur jaune du
soleil. Il y avait des enfants qui criaient Et des couleurs qui volaient Tout
autour des gens élus".
Mère Nature y devient une allégorie en déroute :
"Regarde Mère Nature qui se barre à toute vitesse dans les années
70". Allusion à l’industrialisation, à l’urbanisation galopantes et au
repli de la Nature
dans des territoires protégés, de plus en plus réduits à des peaux de chagrins,
à des réserves indiennes. « Mère Nature », c’est une expression qu’il
affectionne, bien que ce ne soit qu' un cliché. Il l’utilise dans la clôture de
Greensdale, que l’on gardera aussi dans notre compilation.
Harvest
1972
Chez Rimbaud, il y a un Après le Déluge. Chez Young
il y a un Après la Ruée
vers l’or. On peut garder la quasi-totalité d'Harvest, son plus grand succès. En particulier Old Man, The Needle And The Domage Done, Heart Of Gold, Alabama , et A Man Needs
A Maid.
A Man Needs
A Maid
"Il y a longtemps, je ne sais où, je ne sais
quand, J’étais tombé amoureux d’une actrice Mais je n’ai vraiment rien compris
à son rôle".
Are You Ready For The Country
"Es-tu prêt pour partir à la campagne, parce
qu'il est temps d'y aller". Retour aux sources, regénération.
« J’ai discuté avec le prédicateur, il m’a dit que
Dieu me protégeait, Puis j’ai couru voir le bourreau , il m’a dit : "C’est
l’heure de mourir". Le narrateur rencontre un exalté qui le flatte, puis
un bourreau qui veut le pendre. C'est très dylanien, période John Wesley
Harding (1967).
Ohio
Single
avec Crosby , Stills And Nash. Il y dénonce une tuerie dans
une Université. Nixon avait envoyé ses hommes. Ils avaient tiré sur les
étudiants contestataires. Nixon, c'est la figure de l'homme abhorré, chez Neil
Young. C'est lui qui a prolongé la
Guerre au Viet-Nam. Prototype de George
W. Bush.
"Even Richard Nixon has got soul", "Même
Richard Nixon a une âme", s'exclame ironiquement Neil Young dans Campaigner.
Bowie parle également de ce président haï, dans Young Americans : "Do
you remember the president Nixon ? The bill he had to pay ?" Allusion à
l'affaire du Watergate, qui entraîna sa destitution.
Tonight's
The Night
(1975)
Albuquerque
"So I’ll stop where I can find some fried eggs
and country ham", "Je m’arrêterai là où je trouverai des œufs sur le
plat et du jambon de campagne ». Neil Young ne rate jamais une occasion
d’afficher ses goûts simples, sa vie modeste. La notoriété lui pèse un peu :
"I’ll find somewhere they don’t
care who I am", "Je trouverai bien un endroit où ils se moquent de
savoir qui je suis".
Zuma
(1975)
Sur Zuma, je garderais bien sûr Cortez The Killer,
avec son solo impeccable, sa mélodie et ses paroles légendaires, évoquant le
destin de Montezuma, le chef maya :
"Il
arriva en dansant sur les eaux Avec ses galions et ses canons
Il
cherchait un nouveau monde Un palais au soleil
Sur le
rivage il y avait Montezuma Avec ses feuilles de coca et ses bijoux
Dans ses
corridors souvent il divaguait, Bien qu’il sût les secrets des mondes"
"Et ses
sujets se rassemblaient autour de lui, Comme les feuilles autour d’un arbre
Dans leurs
vêtement multicolores Pour apaiser le courroux des dieux
"Et
toutes les femmes étaient magnifiques Et les hommes debout et forts
La haine,
ils en avaient à peine entendu parler, Et la guerre, ils l’ignoraient
Et les gens
travaillaient ensemble A bâtir tous ces murs
Mais ils
les construisaient à mains nues Et nous n’avons pas retrouvé leurs techniques
Ah, ce
Cortez, Vraiment quel salaud… "
Cela me fait penser à cette fulgurante vision
d'Antonin Artaud : " Toutes les bêtes du zodiaque rugissaient
dans la tête de Montezuma ".
Les conjonctions de coordination relancent sans
arrêt ce lyrisme et cette rêverie sur un âge d'or exotique et mythique. Sublimation
de l’Amérique précolombienne.
On The
Beach
Je garderais la deuxième face d’On The Beach, dont
la réédition en 2003, a
été saluée chapeau bas. En particulier :
Ambulance Blues
« C’est difficile de dire quel est le sujet de
cette chanson Il n’y a qu’une ambulance qui puisse aller aussi vite »
Amitié
: “And there ain’t nothin’ like a friend Who can
tell you you’re just pissin’ in the wind”. Amitié et remise en question.
Ecoute ce que te disent tes amis, ils t’aident à t’améliorer en te remettant en
question. Littéralement : "Et seul un ami peut te dire Que tu pisses
contre le vent", "que tu fais une grosse erreur". On songe au
proverbial : "Qui pisse contre le vent mouille sa chemise".
Vampire
Blues
L'énonciateur est une sorte de vampire snob, qui se
compare à une chauve-souris toute noire : "I'm a black bat, baby,
hangin' on your window pane". Les allitérations en "b",
"black bat, baby".
Le sang est son super-carburant : "Well, I'm a
black bat, babe, I need my high octane", "Ouais, je suis une
chauve-souris toute noire, ma p'tite, et j'ai besoin de mon
super-carburant". Les paroles ressemblent un peu à celles du Get It On, de
T. Rex.
Vampire-Antée
"I'm a vampire, babe, suckin' blood from the
earth". On sait que dans la mythologie grecque le géant Antée reprenait
force, se regénérait, en touchant terre, en reprenant contact avec la terre maternelle.
Hercule, demi-dieu très malin, en vint à bout en le soulevant de terre, et en
l'étouffant contre sa poitrine. C'est toujours le thème écolo du retour aux
sources, mais il est transposé ici sur le mode légendaire.
Optimisme
et méthode Coué : "Good times are comin', I hear it
everywhere I go" (bis), "Good
times are comin', but they surecomin' slow". Mais
ça ne vient pas vite...
Comes A
Time
1978
Je garderais pratiquement tout l’album. Les
préoccupations écolo de la chanson-titre. C'est mon album préféré de NY.
Already One
Douceur, tendresse, mais aussi résignation,
tristesse, poids du destin. Les voix de Neil et de Linda Ronstadt se marient parfaitement,
d’une façon totalement harmonieuse. C'est aussi réussi que du Lennon Mc
Cartney.
"I can’t forget How love let me down”, "Je
ne peux oublier A quel point l’amour m’a cassé".
Il y a aussi une reprise géniale qui clôt l'album,
celle du traditionnel Four Strong Winds. Aufray l'avait enregistré dès 1964,
sur un 45 tours quatre titres, qui comprenait également sa première chanson de
Dylan, N'y Pense plus, tout est bien (Don't Think Twice, It's Allright).
Hypallage
"Your crazy smile", "ton sourire (qui
rend) dingue".
Hawks and
Doves
1981
Little Wing
Je garderais le génial et laconique Little Wing, au
titre hendrixien, mais aux accords à la John B. Sebastian (ex-Lovin' Spoonful). "Petite aile”, c’est un surnom. "All her friends call her
Little Wing ». Little
Wing a été
composée dès 1975, mais NY a attendu six ans pour l'enregistrer.
"Petite Aile, ne t’envole pas, Quand l’été
touche à sa fin". Métonymie, la partie pour le tout. "Et les ailes se
levèrent sans bruit". (Rimbaud, Aube).
Captain
Kennedy
"Je suis un jeune officier de marine et je n’ai
qu’une idée en tête : faire la guerre", "Mon père était un marin
nommé Capitaine Kennedy, Il perdit sa goélette en bois, elle fut coulée par les
Allemands, Et l’humiliation rejaillit sur lui, Je l’ai vu à Nassau en 1971, Il
avait perdu des forces mais il pouvait encore faire de longues distances en
courant, Il travaillait à mort Pour s’acheter une goélette en bois et naviguer
en homme libre".
Life
1987
Around The World
«
Surfers roam the seven seas Sharin’ them with submarines Experts count on war
machines
“Des surfeurs courent les sept mers, Les partageant
avec les sous-marins, Experts-comptables dans l’Armement… »
Neil Young se moque de ces sportifs qui semblent
cool et insouciants, mais qui sont en réalité les vrais piliers du système,
font partie de ces Masters of Wars qu'avait dénoncés Dylan, avec tant d'âpreté.
Bolan, plus passéiste et plus superficiel, évoquera le « surfeur d’argent »,
super-héros de ses BD d'enfant, à l’instar des Superman, Batman et autres
Spiderman.
1988
American Dream
"You
wake up in the middle of the night, Your sheets are wet and your face is
white", "Tu te réveilles au beau milieu de la nuit, Tes draps sont
trempés et ton visage est blême". Frayeur nocturne, cauchemar éprouvant.
Son
mépris pour les journalistes y est évident : "Reporters crowd around your
house, Going through your garbage like a pack of hounds, Speculating what they may find out, It don’t matter now,
you’re all washed up". "La foule des journalistes autour de ta maison, Fouillant dans tes
poubelles comme une meute de chiens à la curée, Se demandant ce qu’ils peuvent
bien dénicher (ou : Sondant leurs chances d'y trouver un trésor), Mais cela n’a aucune importance, tu
as tout nettoyé et à fond ».
Harvest Moon
Je garderais From Hank To Hendrix, sorte de bilan
ironique des années passées.
"the big divorce California style" (From
Hank To Hendrix), "un p… de divorce, comme en Californie…". "Hank",
c’est Hank Marvin, le soliste des Shadows, la toute première idole de Neil
Young. L’un de ses maîtres incontestés.
Bonus track
Beautiful Bluebird
"One mornin’ when I was ridin’In my old pickup
truck A beautiful bluebird came flyin’ down", "Un matin, comme je
roulais, Dans mon vieux camion-remorque (ou camion de ramassage ?), Un beau
merle s’est posée sur mon épaule". On
aime cette insouciance, cet optimisme.
Conclusion
Ce ne sont que des suggestions. L'anthologie
définitive reste à venir.
A l’humilité d’un Neil Young, à sa timidité, à sa
modestie, s’opposent l’orgueil macho, l’arrogance, la suffisance d’un Jim
Morrison, tombeur de ces dames. Mais moi j'aime bien les deux !
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