dimanche 11 mars 2012

Le personnel de la Castafiore : Irma et Wagner

Les Bijoux de la Castafiore, de  Hergé





Le personnel de la Castafiore : Irma  et Wagner



                                                                                            (9.1.96 et 3.9.96)







  Les bijoux de la Castafiore :cet épisode très particulier des aventures de Tintin est le seul  où il n'y ait aucun voyage : une célèbre cantatrice d'opéra rend visite au cours d'une tournée  à ses vieux amis Tintin et Haddock, et s'installe au château de Moulinsart, où elle reçoit la télévision. Ses bijoux disparaissent : une enquête policière a lieu : qui donc les a volés ?

   L'intrigue étant réduite, le scénario plutôt léger, Hergé fixe l'intérêt du lecteur sur toute une galerie de portraits,individus ou groupes sociaux : les Bohémiens; les journalistes, prêts à monter n'importe quel scoop, vrai ou faux (dénonciation de la presse à scandales et de l'immixtion du sensationnel sous couvert d'information); le monde naissant de la télévision (coulisses, techniciens, logistique audio-visuelle); la domesticité de la chanteuse (son habilleuse, son accompagnateur servile); les caprices de la diva, ses rapports équivoques avec les media; l'irritabilité du capitaine Haddock immobilisé par une chute malencontreuse. Le problème de la disparition des bijoux reste secondaire.Vraisemblablement influencé par les techniques du nouveau roman Hergé a voulu prendre le contrepied de ses albums précédents : Tintin reste à Moulinsart,fait étape, pour une fois ne s'embarque pas au bout du monde .



   La star italienne ne voyage jamais seule : son standing s'y oppose,son statut social lui permet d'avoir à domicile une habilleuse, Irma, qui est plus une bonne à tout faire qu'une  confidente ou une dame de compagnie. Elle a aussi un pianiste au nom prédestiné, ce brave Wagner, très effacé, d'une discrétion exemplaire.

   Irma apparaît  page 10 en D2 : sa tenue vestimentaire en fait une "provinciale renforcée" (l'expression est de Mérimée) : gros manteau bleu, qui contraste avec le vison de sa patronne, une coiffe "vieille fille" mal assortie (qui contraste également avec la toque luxueuse de la Castafiore), des chaussures ordinaires quand la diva a  des talons aiguilles. Elle ne se pare d'aucun bijou. Simplicité et humilité. C'est le type même du personnage secondaire, dans l'ombre de sa maîtresse. Elle semble toujours en retrait. Très attentionnée, elle obéit au doigt et à l'oeil à son employeur, devance même ses moindres désirs. C'est elle qui est chargée de garder les fameux bijoux, des émeraudes données jadis par le maharadjah de Gopal (personnage de La Vallée des cobras, une aventure de Jo, Zette et Jocko).

   Elle ne s'offusque pas des remarques désobligeantes de la cantatrice qui l'appelle "ma fille" ( C2,page17), avec une certaine hauteur teintée de condescendance, -en tout cas avec beaucoup de désinvolture.

   Lors de la nuit mouvementée où la Castafiore croît avoir perdu ses joyaux asiatiques, on voit Irma en robe de chambre, des bigoudis sur la tête, ce qui la rend un peu ridicule, mais finalement pas plus que sa maîtresse dont le déshabillé a tout de l'accoutrement carnavalesque, loin du "simple appareil / D'une beauté que l'on vient d'arracher au sommeil".

Irma a les pieds sur terre : elle retrouve tout de suite les gemmes qu'elle avait rangées soigneusement.

    Le lendemain elle fait des travaux de couture dans le jardin. Elle se fait voler ses ciseaux par Miarka la petite bohémienne. Sa patronne, à qui elle fait part de leur disparition, la traite de haut, oubliant sa frayeur nocturne : "Ce n'est pas à moi de veiller sur vos affaires!..." -la ponctuation ironique marque bien le ton hautain de la "grande dame". Irma paraît un peu désemparée. Gros plan sur son visage honnête.

   Lors de la disparition des pierres précieuses elle prend cette perte tellement à coeur qu'elle tombe évanouie comme sa maîtresse : elle ses sent responsable et pleure à chaudes larmes...

   Un peu plus loin la Castafiore lui parle rudement (C2, page 42) : "Et allez donc voir qui a sonné, au lieu de rester là plantée comme une souche". On ne saurait être plus désagréable (réification de la domestique). Pourtant Irma ne réplique jamais : aucun "a parte" ne signale qu'elle en a gros sur le coeur, qu'elle garde son quant à soi, ou compte se venger de cette attitude mesquine, de ces perpétuelles rebuffades.

   Au cours de l'enquête, après avoir interrogé Nestor, les Dupond/t la soupçonnent de complicité avec le domestique de Moulinsart, la tutoient sans ménagement :"Allons! avoue!!!"(D2, page 45). Pourtant son émotion et son innocence semblent bien réelles : les soupçons des Dupond/t, si peu intuitifs, ne font que l'innocenter un peu plus...D'ailleurs elle se rebiffe : cette accusation c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Elle s'empare de l'une des cannes des deux inspecteurs, la brandit (A2, page 46) : les policiers n'en mènent pas large, se protègent comme ils peuvent derrière une chaise. Scène burlesque, les rôles sont renversés. Pour une fois la Castafiore prend la défense de son employée mais c'est surtout par égoisme : peur qu' Irma lui rende son tablier. Elle craint de tomber sur une autre, qui ne se laissera pas exploiter aussi facilement :"Et les gages qu'une autre exigera ?"(A1, page 46).

   Puis le personnage disparaît de la scène, ne réapparaît pas dans les derniers albums. C'est donc le type même du personnage secondaire non-récurrent.



    Il en est de même de Wagner. Présenté par la Castafiore en D3 page 8, c'est le pianiste personnel, attitré, de la diva. Il s'agit d'un petit homme d'allure modeste, volontiers effacé, assez bien habillé, poli, un Monsieur-tout-le-monde.avec sa serviette en cuir passe-partout cela pourrait être aussi bien un médecin de famille qu'un professeur, un huissier, un notaire, un agent du fisc...Il  n'a rien d'un musicien sinon son patronyme éloquent, un nom prédestiné (la Castafiore serait alors une sorte de Walkyrie...). Si discret qu'il semble muet, timide, ou insignifiant.

    Passant dans le couloir, il surprend la conversation entre la star et sa femme de chambre, concernant l'endroit où les bijoux personnels de la diva sont cachés : les traits codés qui entourent son visage en font un futur suspect : ce procédé rappelle les fausses pistes  dont sont émaillés les romans policiers (cf. Agatha Christie qui se débrouille toujours pour que le lecteur soupçonne quelqu'un d'autre que le vrai coupable).

   Le lendemain de la nuit mouvementée au cours de laquelle la Castafiore croit avoir perdu ses pierres fines, Tintin relève des empreintes sous les fenêtres de la diva : deux pages plus loin il constatera que ce sont des traces laissées par Wagner, dont les semelles sont ferrées. Le lecteur se demande si ce personnage si discret, fantômatique, sans épaisseur, ne joue pas un double jeu: ne s'agirait-il pas d'un usurpateur qui attend le moment propice pour disparaître de la circulation avec les pierres...

   Quand la Castafiore s'évanouit il la prend dans ses bras ( ce qui est un peu ridicule car la diva est deux fois plus imposantes que lui :Dubout n'est pas loin).

   Vis-à-vis de lui la Castafiore se comporte en tyran domestique : elle le traite  comme un enfant, l'oblige à faire des gammes toute la journée. Sa soumission canine est doublée d' un certain infantilisme. Son comportement paraît suspect à Tintin qui découvre qu'il a monté tout un stratagème (digne de  Quick et Flupke) pour faire croire qu'il fait ses gammes : un magnétophone le rempace de temps en temps. Questionné par le héros il finit par avouer qu'il a un vice caché : c'est un joueur invétéré : il s'évade de temps en temps pour aller jouer aux courses. C'est un turfiste, un mordu, un monomane autant qu'un mélomane : c'est un faible qui est obligé de se cacher pour assouvir sa passion.

(23.1.96 et 3.9.96)


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