dimanche 11 mars 2012

ASTRAL WEEKS LIVE

Van Morrison. Astral Weeks. Live at the Hollywood Bowl (EMI. Listen To The Lion Records) ***

L’expérience Them et ses morceaux mythiques (le fameux « Gloria » dont les trois accords serviront de base à bien des apprentis guitaristes) influenceront des groupes « garage » américains sixties (Count Five et son « Psychotic  Reaction ») ou irlandais (Belfast Gypsies). Puis Van Morrison se lancera dans une carrière solo, dont le plus beau fleuron sera l’album « Astral Weeks » en 1968, il y a donc plus de quarante ans. Van l’a repris sur scène en novembre dernier, in extenso.

C’est un peu comme si Bob Dylan reprenait son « Blonde on Blonde » live ou tout son « John Wesley Harding », comme si les Stones jouaient en public l’intégralité de « Between The Buttons » ou de « Let it Bleed », comme si Hallyday rechantait à Bercy l’album de la » Génération perdue ». Bref, ça serait émouvant, sympathique, tout ce qu’on voudra (pathétique ?). Mais ça serait forcément moins bien, ça porterait le poids des ans. Les hommages au Passé, ça prend toujours une tournure névrotique. Un répertoire, ça doit évoluer, ça ne doit pas rester figé, sinon ça sent la naphtaline, les vieux placards, le musée, le sapin. Pour éviter cet écueil, il faut refaire les arrangements, les moderniser. C’est le cas ici.

Sur « Astral Weeks », le chanteur se sent déphasé. Il ne comprend pas le monde qui l’entoure. « I’m nothing but a stranger in this world. » Il se souvient de ses anciens rêves. « I got a home on high in another land. » On nous en propose ici une belle version acoustique. La voix, comme le presbytère, n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. Le solo de flûte me fait songer à Traffic, je ne sais plus pourquoi. Je n’ai pourtant pas écouté Stevie Winwood depuis des lustres.

L’intro de « Beside You » semble très subtile, la voix bluesy à mort, avec un violon dylanien (période « Sara »). Sur « Slim Slow Slider », la belle chevauche un cheval blanc comme neige, « Horse you ride is white as snow »). On ramasse des galets sur une plage perdue. « Catching pebbles for some sandy beach ». C’est une chanson de dépit amoureux : « Je t’ai vue tôt ce matin, avec ton nouveau petit copain et ta Cadillac. » « Saw you early this morning, with your brand new boy and your Cadillac. » Il y en a qui ont toutes les chances, et d’autres qui paraissent condamnés à errer, éternelles âmes en peine.

« Cyprus Avenue » a l’air d’une chanson automnale, mélancolique, lancinante. L’âme y est malade. Tous les signes du déclin s’insinuent en elle et la hantent : « And the leaves fall one by one, one by one. » Pour oublier tous ses malheurs, le chanteur a envie de longer la rivière, la voie ferrée, une bouteille à la main. « I think I’ll go on by the river with my cherry, cherry wine, I believe I’ll go walking by the railroad with my cherry, cherry wine. » Il attend sa petite. Elle a des rubans arc-en-ciel dans les cheveux, mais elle est mineure. Ce sont des paroles de blues, comme sur « Ballerina » (« And I’m standing on your doorway »), mais du blues irlandais, du blues celtique, un blues plombé  comme le ciel de Dublin. Et « Madame George » est toujours assise sur son sofa, « playing games of chance. » Réussites ou tarots ?

Sur « Sweet Thing », retour à la sobriété : « And I will drink the clear clean water for to quench my thirst.” Beaucoup de violon ici comme sur « Desire », déjà cité plus haut, mais en  plus soft, en moins agressif que sur « Oh, Sister ». Une image (« And your saint-like smile ») paraît empruntée au « Sad-Eyed Lady of the Lowlands » de Dylan, jusque dans sa construction. Mais la rêverie dylanienne a l’air plus subtile car paradoxale : « And your saint-like face and your ghost-like soul. » Van se contente d’évoquer un sourire de sainte, de sublimer la femme aimée, quand Dylan montre du doigt ses aspects dangereux, négatifs, ou du moins ambigus (« Ton visage de sainte et ton âme de spectre »). L’image de Dylan plonge dans un abîme. Van a plus de candeur, Dylan plus de mordant. Les rivages de l’Irlande sont plus brumeux que ceux du Lac Supérieur : on n’y croise pas les mêmes fantômes.



Jérôme PINTOUX

28.2.9

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