vendredi 3 février 2012

Coffret The Doors. The Complete Studio recordings (1999)

Coffret The Doors. The Complete Studio recordings (1999)

Mini bio
C'est le titre de l'essai d'Aldous Huxley, The Doors of Perception, qui a inspiré le nom du groupe. « Les Seuils », plus que « Les Portes ». Un groupe de rock, formé en 1965 à Los Angeles, par James Douglas Morrison (chant), Ray Manzarek (claviers), Robbie Krieger (guitare) et John Densmore (batterie). Les Doors n'avaient pas de bassiste. C'était Ray Manzarek, le claviériste, qui assurait les parties de basse, sur un second clavier, le Fender Keyboard Bass.
Robbie Krieger, c’est l'homme de l'ombre, un petit guitariste, timide, à moitié chauve. Il jouait bien, mais son jeu était limité. C'est pourtant lui qui composa « Light My Fire ».
Ray Manzarek, on le connaît pour les arabesques et les fioritures de son orgue. C’était le second couteau de Morrison.
John Densmore, c’était le batteur. Il avait un style jazzy, comme Charlie Watts.
Le coffret reprend les six albums studio plus un CD d’inédits au titre pompeux, « Essentiel Rarities », constitué surtout des démos très anciennes (1965) et des morceaux live, plus un inédit aviné « Woman is a devil ».

Le livret
C’est une boîte où l’on peut ranger les sept albums des Doors, des mini répliques des albums originaux, mais la boîte n’est guère pratique. Le livret est bien fait : des photos jamais vues et toutes les paroles des albums officiels. La photo de la couverture vient des sessions du premier album, c’est une variante de la pochette de l’album de 1967. Le long texte de présentation est signé Dave DiMartino.

Le contenu
Le premier album : The Doors (janvier 1967).
“Break On Through (To The Other Side)” ouvre magistralement le premier album. Le succès fut immédiat aux Etats-Unis. Mais en Europe ce morceau fut longtemps éclipsé par la version tronquée de « Light My Fire », et dans une moindre mesure par « The End ». Il fallut attendre le film d'Oliver Stone pour redonner une seconde jeunesse à « Break On Through ». Il en existe une excellente version live, peut-être supérieure à la version studio, sur l'album « Essential Rarities ». Elle a été enregistrée au festival de l'Ile de Wight en 1970, où pourtant la prestation de Jim fut sévèrement critiquée. Cependant, cette version percutante montre que Jim n'avait perdu ni son charisme, ni son talent.
Sur « Soul Kitchen », « The cars crawl past all stuffed with eyes », « Les voitures passent en rampant toutes farcies d'yeux ». Les autos, ici, deviennent des monstres.
« The Crystal Ship » fait songer au « magic swirling ship » de Dylan (« Mister Tambourine Man »), ou à la barque de Râ (« Waiting For The Sun »). Morrison y affiche une désinvolture plutôt prétentieuse : « Quand nous reviendrons, je griffonnerai quelques lignes ». Le vocabulaire aussi semble assez pédant : « Avant que tu ne glisses dans le sommeil… »
La chanson suivante, c’est « Twentieth Century Fox » : « Oui, elle est maigre comme c'est à la mode / Elle ne perd pas son temps en bavardage primaire / C'est une renarde du vingtième siècle"
Sur une musique de Kurt Weill, le dramaturge allemand Bertolt Brecht a écrit « Alabama Song » (de « L'Opéra de Quat'sous »), chanson d'ivrognes déambulant sous la lune d'un Etat du Sud (« to the next whiskey bar »), rôdant de rade en rade. Cette reprise constitue un véritable hommage et inscrit le groupe dans la théâtralité.
Sur « Light My Fire », le feu symbolise le désir. Une version, bassement amputée de trois minutes, sortira en simple pour plaire à "Elektra" et pour passer à la radio. On en a supprimé toute la partie instrumentale, les arabesques de Manzareck...
“Back Door Man”, c’est un blues de Willie Dixon. La reprise des Doors est fabuleuse. C’est l'un des sommets de ce premier album. C’est très réussi, très efficace, très bien chanté, avec une rythmique efficace. « Je suis l'homme de la porte dérobée / Les hommes n'y voient que du feu / Mais les petites filles sont au courant ». Morrison était, avant tout, un chanteur de blues. Comme Robert Johnson il était hanté par le fameux carrefour, où l'on rencontre le diable, dans un bled du Mississipi. « The Crossroads, a place where ghosts », « La Croisée des Chemins, lieu où résident des fantômes ».
Quant à “The End“, c’est un célèbre talking blues. “This is the end, beautiful friend". “Voici la fin, mon bel ami". Coppola a utilisé cette chanson dans « Apocalypse Now » pour rendre le désarroi des G.I. au Vietnam. Les paroles relèvent de l’inceste et du parricide : « Mother, I want to... » Morrison ne traînait pas un Œdipe « gros comme ça ». Il avait plutôt un certain sens de la provocation... Cela renvoie aussi au théâtre de la cruauté. C'est Artaud tout entier à sa proie attaché...
Deuxième album : Strange Days
Dix mois seulement le séparent du premier. Ce deuxième "opus" est bien plus léger, plus "pop", comme si beaucoup de stress avait été évacué. L'atmosphère est moins lourde. Seule la pochette est anxiogène, avec ces "freaks" et ces saltimbanques bizarres, ce nain qui tend un tambourin à cette femme hiératique, vêtue d'un sari.
Sur « You're Lost, Little Girl », le chant se fait emphatique. Jim ne va faire qu'une bouchée de cette petite fille perdue. Morrison n'évite pas toujours la grandiloquence, même dans les chansons douces. Or, la déclamation peut faire pencher le rock vers la théâtralité, vers l'excessif. L'écueil est cependant évité de justesse, et la chanson est magnifique, immense.
Sur « Love Me Two Times » on songe à un type qui doit rejoindre les troupes, au Vietnam. Il veut pleinement profiter du "repos du guerrier". C'est peut-être la dernière fois qu'il voit sa copine…
Sur « My Eyes Have Seen You », la voix a l’air encore jeune. Voici l’une des plus belles chansons de « Strange Days ». Elle a influencé le « Rape Me », de Nirvana.
Le Troisième Album : Waiting For The Sun
 « Unknown Soldier », cette histoire de peloton exécution est toujours aussi impressionnante. « Spanish Caravan » est une étude de Krieger, dans le goût espagnol.
« My Wild Love » est une complainte psalmodiée et répétitive. On dirait un pow-wow, une de ces réunions solennelles d'Indiens d'Amérique du Nord.
« We Could Be So Good Together” rappelle l'ambiance d'“Alabama Song”. Elle aurait pu figurer sur le premier ou le second LP.
« Yes, The River Knows », chanson douce et apaisée, annonce certaines plages de « Morrison Hotel » (notamment « Blue Sunday » et « Indian Summer »).
Le disque se termine sur un blues-rock. On y retrouve un peu l'ambiance pow-wow de « My Wild Love ». Au total, un album en dents de scie, avec un « pic » (« Unknown Soldier »), mais d'une inspiration beaucoup trop inégale.
Le Quatrième Album : The Soft Parade
Le quatrième album est généralement le moins apprécié des six. On lui reproche souvent des orchestrations trop somptueuses, une certaine perte d’inspiration, des compositions faiblardes. « Tell All The People », signé Krieger, est chanté avec emphase. Les cuivres n'arrangent rien. On devine la carrière de crooner que Jim aurait eue, s'il avait vécu…
« Touch Me », c'est un grand classique, parfaitement orchestré, un peu trop formaté pour les radios de l'époque peut-être, mais encore enthousiasmant : du grand Morrison. C'est encore du Krieger. Ils formaient un tandem parfait.
Quant à « Shaman's Blues », le titre fait tellement Jim Morrison que c'en est presque caricatural. Ce n'est pas une mauvaise chanson, mais la guitare y est omniprésente, et le jeu a vieilli. Assez insupportablement, Morrison se voulait une sorte de « chaman », ce sorcier des steppes qui communique avec les « esprits » par les techniques de l'extase et de la transe. Le film d'Oliver Stone est basé sur cette imagerie datée.
« Do It » manque un peu d'inspiration. Néanmoins, cela s'écoute. Mais cette chanson fait un peu petite montagne à vaches à côté des sommets de « Light My Fire », « Hello I Love You », et tant d'autres. « Easy Ride » semble une sorte de boogie woogie, marqué par une rupture de rythme : une chanson bien enlevée, pas désagréable, mais on a connu The Doors plus inspirés.
« Wild Child » évoque un totem, un fétiche africain. Cela a peut-être inspiré à Syd Barrett les paroles d' « Opel », sur son erratique troisième album, tout de bric et de broc. « Enfant sauvage, pleine de grâce » semble une contrefaçon insolente du « Je vous salue, Marie », la douce prière chrétienne.
« Runnin' Blue », c'est un hommage (signé Krieger) à Otis Redding. « Pauvre Otis, tu es mort, tu es parti ». On note une allusion à « Dock Of The Bay », le succès posthume de ce chanteur de rhythm and blues. « Dock Of The Bay » se passe à L.A., l'une des villes-fétiches de Morrison. On sent la tendresse, l’apitoiement sincère sur un bluesman défunt, qu'il appréciait, et qu'il regrette. Une « Square dance » amusante émaille le morceau. On songe à un vieux western, avec Kirk Douglas.
« The Soft Parade » rappelle à la fois « Parade », de Rimbaud (qui semble évoquer un défilé de pirates ou de saltimbanques), et « The Soft Machine » de Burroughs, récit vénéneux et sordide. C'est le morceau de résistance de l'album. Huit minutes quarante, avec des animaux emblématiques, « Un cobra sur ma gauche, un léopard à ma droite ».
Le Cinquième album : Morrison Hotel
L'album de la sérénité, mais cette sérénité s'avérera éphémère.
« Hard Rock Café », c'est le titre générique de la première face. Elle s'ouvre sur l'âpre et percutant « Roadhouse Blues ». « Je me suis réveillé au matin et je me suis fait une bière, Le futur est incertain, et la fin est toujours proche ». Jim "savait" peut-être qu'il ne vivrait pas longtemps.
« You Make Me Real“ est un rock très efficace, bien enlevé. La voix colle aux instruments. C'est un vrai groupe, uni, soudé. « You Make Me Real », « Light My Fire » comme “I Want You” de Dylan, sont des chansons de désir, d'où toute sentimentalité semble bannie.
« Blue Sunday » paraît serein. Jim se fait crooner psyché. Sinatra n'est pas loin. Lou Reed non plus : "Indian Summer" préfigure "A Perfect Day", sur « Transformer » en 1972.
« Ship Of Fools » reprend un vieux thème médiéval, littéraire (Brant), et pictural (Jérôme Bosch). Au Moyen Age et à la Renaissance, on se débarrassait perfidement des fous en les embarquant sur des bateaux. Puis il y eut le grand enfermement…
Deux chansons de marine à la suite. L'une termine la première face, l'autre débute la seconde, avec son cri de vigie : « Ohé ! Terre en vue ! » (« Land Ho ! ») :
Il s’agit d’un texte faussement autobiographique, donc ironique. Le chanteur s'invente un ancêtre marin, sur un baleinier, une sorte de capitaine Achab ou de Ned Land. On reprend l'univers de Melville, de Jules Verne : « Moby Dick », « Vingt Mille Lieues sous les Mers », ou « Le Capitaine Hatteras ». Les confidences du grand-père sont des souvenirs fictifs.
« Indian Summer » est encore une chanson très sereine, avec son rythme très lent, paisible, bucolique, « estival ». L’été indien, chez nous, c'est l'Eté de la Saint Martin. Brassens l'a chanté, sur « Saturne ».
Le sixième et dernier album L. A. Woman
« Love Her Madly »  est une des rares chansons « pop » des Doors.
Sur L.A. Woman dont les initiales forment "LAW", la Loi, on trouve la fameuse anagramme, qui fit couler beaucoup d'encre : "Jim Morrisson" = " Mr Mojo raisin' ". Comme si une Malédiction se levait soudain…
 « Crawling King Snake » : Il s'agit d'une reprise d'un titre de John Lee Hooker. Morrison reprendra cette imagerie du Roi Serpent...
« Riders On The Storm » : Le « Midnight Rambler » des Stones n'est pas loin (« Let It Bleed »). Le tueur de prostituées de White Chappel est-il présenté comme un excentrique qui aime bien se balader la nuit ?… Morrison dit : "There’s a killer on the road". C'est l'orage qui enfante le criminel ? L'orgue et ses notes cristallines visent à rendre le ruissellement de la pluie, l'atmosphère inquiétante, anxiogène, théâtrale.

Critique  et outtakes (« Essential Rarities »).
Ce coffret, sorti en 1999, a un son quasi parfait (24bits). Il contient plusieurs raretés, dont  « Whiskey, Mystics And Men », « Orange County Suite », et un inédit aviné, « Woman Is A Devil ».
Les vieilles démos de 1965 (« Hello, I Love You » ; « Moonlight Drive ») sont fort intéressantes. On y sent l'influence déterminante des Rolling Stones. La voix de Morrison n'est pas encore mise en valeur, et un harmonica bluesy occupe le devant de la scène.
Hello I Love You” aurait été démarqué sur le “All Day And All Of The Night”, de Ray Davies. Mais le morceau de Doors a bien sa propre personnalité. Il en existe une démo très ancienne avec un harmonica bluesy. On songe même à « Not Fade Away ».
Quant à « Queen Of The Highway », il en existe une version alternative, avec un piano bastringue. Elle est plus dépouillée que sur « Morrison Hotel ».
La démo de «             Hyacinth House », très mélodique, figure aussi sur l'album de raretés.

Renaud cite Morrison dans « P'tite conne ». C'est l'histoire d'une junkie défunte. Le chanteur semble amoureux de la fille-zombie. Mais il s'est fait snober. La demoiselle est morte des suites d'une overdose : « A ne pas vouloir vieillir on meurt avant les autres / P'tite conne / Allez repose-toi / Tout près de Morrison / Et pas trop loin de moi ». On ne peut pas dire que la rime soit élogieuse... Jim méritait mieux.

Jérôme Pintoux
Le 19.9.2010

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