mercredi 24 octobre 2012

Hommage à Boris Vian (ses interprètes, son influence)


Dérouillade Blues

 

 

 

 

 

Boris Vian, ses interprètes, et l’influence qu’il a exercée…

 

 

 

 

 

 

On fête les cinquante ans de la disparition de Boris Vian. Il mourut en 1959 des suites d’une crise cardiaque. Il n’avait pas atteint la quarantaine.

 

On le sait, l’auteur de « L’écume de jours » n’était pas seulement un romancier. Il a écrit des chansons étonnantes, et l’influence qu’il a exercée sur les jeunes générations reste déterminante, essentielle, de Gainsbourg à  Antoine, en passant par Henri Salvador, un de ses grands potes, Jacques Dutronc, Yves Simon et Jacques Higelin.

On trouvera dans cet article quelques chansons qui n’auraient vraisemblablement pas été écrites si Bison Ravi n’avait pas existé, s’il n’avait pas commis « J’suis snob » ou « J’voudrais pas crever ». Nous avons aussi sélectionné ses principales reprises. Les noms des interprètes ont été mis entre parenthèses après chaque titre. Nous avons classé les morceaux dans l’ordre chronologique, sauf en conclusion.

 

 

 

 

 

1957

 

« Je me souviens de vous » (Salvador) semble une chanson cafardeuse. « Amie perdue, ma vie, mon cœur, voici que se ferment les fleurs, et voici que je pleure. » Le personnage s’est senti trahi par son amie, les oiseaux en ont perdu leurs couleurs : « Je vous ai vus dans le jardin, sa joue collée à votre joue. Dans le verger plein d’oiseaux gris, s’est arrêtée ma vie. »

 

1958

 

Dans « ça pince » (Salvador), le personnage va chercher des crabes dans les rochers, mais il rapporte une « belle sirène bronzée » dans son « « plumard ».

 

Le « Blues du dentiste » (ou « Blouse du dentiste ») raconte une mésaventure arrivée au narrateur. Il est tombé sur un plombier qui donnait un coup de main à un ami dentiste. On se croirait chez le bourreau : « Il a les tenailles à la main. Oh, oh, oh, maman, j’ai les guibolles en fromage blanc. Avant même que j’aie pu faire ouf, il m’fait déjà sauter trois dents. » Mais la torture n’est pas terminée : « Il me grille la gueule au chalumeau », et le plombier lui prend toute sa paye. Une chanson de malchance et d’usurpation d’identité.

 

« Moi j’préfère la marche à pied » (Salvador) fait songer à « La complainte du progrès » (1955) avec son avalanche de gadgets : « Une bagnole pleine de trucs mécaniques, une tirette pour le whisky glacé,  un bouton pour le beefsteak pommes frites. » Bernard Lavilliers reprendra « La complainte du progrès ».

 

Sur « Trompette d’occasion » (Salvador), le narrateur a déniché un vieil instrument au marché aux puces.

 

« Le poinçonneur des Lilas », de Serge Gainsbourg, met l’accent sur un personnage anonyme : « Le gars qu’on croise et qu’on ne regarde pas ». On l’a relégué dans des enfers modernes : « Y a pas de soleil sous la terre ». Son métier est terriblement machinal : « Paraît qu’y a pas de sot métier, moi j’fais des trous dans des billets ». On retient les conseils qu’il donne, comme des bribes volées au quotidien, et ces informations tranchent, au milieu de ses confidences : « Pour Invalides, changer à Opéra. » « Arts-et-Métiers direct par Levallois. » Son job est tellement répétitif qu’il en a des hallucinations : « Parfois je rêve, je divague, je vois des vagues, et dans la brume au bout du quai j’vois un bateau qui vient me chercher. » Il craque, rêve d’évasion : « J’en ai marre, j’en ai ma claque de ce cloaque, je voudrais jouer la fille de l’air, laisser ma casquette au vestiaire ». A la fin, le personnage devient suicidaire : « Y a de quoi devenir dingue, de quoi prendre un flingue, s’faire un trou, un petit trou, un dernier p’tit trou. » C’est une chanson tout à fait dans le style de celles de Boris Vian. La dette semble évidente…

 

Dans « Charleston des déménageurs de piano », un titre à la Boris Vian, Serge Gainsbourg s’intéresse aux petits métiers bizarres, comme dans « Le poinçonneur des Lilas ». Il utilise les noms propres comme autant de mots poétiques, insolites : « C’est nous les déménageurs de piano, des Steinway, des Pleyel et des Gaveau. » Mais le reste du texte manque d’inspiration, tombe vite dans la trivialité.

 

1960

 

Sur « Faut rigoler » (Salvador), le chanteur, originaire de Guyane française, se moque des leçons d’Histoire inadaptées, qu’il a reçues à l’école : il ne sentait guère concerné par ces prétendus aïeux ! « Nos ancêtres les Gaulois » (il accentue sa prononciation créole), « cheveux blonds et têtes de bois, longues moustaches et gros dadas. » On pense aux paroles du « Lycée Papillon », à ses anachronismes : « Nos ancêtres les Gaulois inventèrent le tabac, et c’est grâce à ce truc-là qu’ils s’fendaient la pipe à tour de bras ! » Le chanteur surfe sur la mode du cha-cha-cha en chantant ce mambo. C’est le premier grand succès d’Henri Salvador, qui a enfin trouvé un créneau : la chanson comique.

 

1963

 

« Ce grand méchant vous », c’est encore du Serge Gainsbourg, première manière. Cette chanson dit la peur du vouvoiement et donc de la distance, dans les relations amoureuses : « J’ai peur du grand méchant vous. Ah ! la vilaine bête que ce vous !» Un texte dans la lignée de ceux du grand Boris.

 

Dans « Maxim’s », le chanteur se rêve en grand seigneur désinvolte, généreux (« Dix sacs au chasseur »). « Ah ! baiser la main d’une femme du monde et m’écorcher les lèvres à ses diamants. » Dès 1963, Serge Gainsbourg a ce goût pour les anglicismes comme s’ils insufflaient un souffle poétique, un sang neuf à la langue française, en en renouvelant le vocabulaire, mais ce procédé peut être aussi une forme de snobisme un peu vaine : « S’envoyer un dry au Gordon et des Pimm’s Number one ». Parfois, on a du mal à décoder…

 

Sur « Serge Reggiani chante Boris Vian, en 1964, « Je bois », c’est une chanson de mari trompé : « Je bois systématiquement pour oublier les amis de ma femme. »

 

« Le déserteur » date de l’époque de la guerre d’Indochine. Le narrateur s’adresse au président de la république. « Je viens de recevoir mes papiers militaires pour partir à la guerre avant mercredi soir ». Le narrateur refuse cette mobilisation. « Je ne suis pas sur terre pour tuer de pauvres gens ». Il compte voyager, prêcher la désobéissance. La fin est pacifiste : « Si vous me poursuivez, prévenez vos gendarmes que je n’aurais pas d’armes et qu’ils pourront tirer », déformant la pensée du poète. Vian avait écrit : « que je tiendrai une arme et que je sais tirer ». Serge Reggiani a donc repris la version de Mouloudji (Vian avait accepté cette modification).

 

Dans « Que tu es impatiente », le poète s’adresse à la mort. « On fait le chemin au devant de toi. Il suffisait d’attendre. »

 

1966

 

« Une autre autoroute » d’Antoine s’adresse à un beatnik en rupture de ban et renvoie à se prise de conscience. « Un jour l’habitude a été trop, tu as posé ton fardeau et sans regret tu as dit à bientôt. La route s’est ouverte à tes pas. » Il a rencontré en chemin la fraternité, la solidarité. « Quand le soir te laisse désemparé tu sais où rencontrer les compagnons qui sauront te consoler. » Les paroles semblent inspirées de « Jeanne » de Brassens (dont Antoine reprendra « L’Auvergnat », autre chanson de solidarité) : « On ne te demande pas ce que tu étais, ce que tu faisais. Tu es là, on t’offre l’amitié. » Brassens écrivait : « Son auberge est ouverte aux gens sans feu ni lieu (…) on peut entrer sans frapper, sans montrer patte blanche. Chez Jeanne, on est n’importe qui, on vient n’importe quand, et comme par miracle, par enchantement, on fait partie de la famille. »  On note aussi un hommage appuyé à Dylan et à Boris Vian : « Leurs mots troublants ne sont que réalité vraiment. »

 

1968

 

« Les rois de la réforme » (Jacques Dutronc) s’insurge contre le service militaire. Une chanson pacifiste dans la lignée du « Déserteur » de Boris Vian (c’est d’ailleurs aussi une lettre). A l’instar de Serge Gainsbourg, Jacques Lanzmann utilise des anglicismes. « Je dirai j’ai une nervous breakdown, tout ce que j’ai, je vous le donne ».

 

1970

 

« Je voudrais pas crever » est un texte à la fois désespéré et désopilant, interprété par Reggiani. Le personnage ne veut pas mourir avant d’avoir tout essayé, tout vu , tout lu, connu toutes sortes d’animaux : « Les chiens noirs du Mexique qui dorment sans rêver (…) les araignées d’argent, au nid truffé de bulles. » Il se voit en cosmonaute pour « savoir si la lune sous son faux air de thune a un côté pointu. » Il compte même se déguiser en femme : « Je voudrais pas crever (…) sans avoir essayé de porter une robe sur les grands boulevards. » l’allégorie de la mort prend l’aspect d’un batracien bancal : « Et moi je vois la fin qui grouille et qui s’amène avec sa gueule moche et qui m’ouvre les bras de grenouille bancroche. »

 

Sur « Jacques Canetti présente Jacques Higelin », en 1973, dans « L’année à l’envers », le temps régresse « jusqu’au mois de juillet, jusqu’à ce foutu soir où tu m’as laissé choir ». « Huit jours en Italie » est encore une reprise du poète de Saint-Germain-des-Prés. Les déjeuners lui font faire des progrès en italien. « Gelati, spaghetti, fritteti, legumi, salami » ...

 

1974

 

Dans « Soldats, ne tirez pas » de Maurice Vidalin, un déserteur s’adresse aux militaires qui le pourchassent, mais ce texte (interprète : Gérard Lenorman) paraît bien moins fort que celui de Boris Vian sur le même thème.

 

1979

 

Dans « Au bal des ballots », Salvador énumère les différents types de dancings : « Y a des bals pour les pompiers et les joyeux militaires. Y en a pour les vieux notaires et les sombres charcutiers. » Il y a de l’agitation dans l’air : « Viens au bal aux ballots, c’est pas Waterloo, mais on s’y bouscule. »

 

Dans « Dérouillade blues » (Salvador), le narrateur se fait accoster par trois « malabars » qui le passent à tabac dans une allée du bois de Boulogne. Puis ils s’aperçoivent de leur erreur quand ils vérifient ses papiers d’identité. « M’sieur Salvador, excusez-nous, on s’est trompés. On vous a pris pour un boxeur qui nous a séduit nos petites sœurs… » Encore un air de malchanceux, basé sur un quiproquo, plus cinématographique (les films de gangsters) que théâtral.

 

1995

 

« Une bonne paire de claques » (Salvador) c’est le remède idéal pour ceux qui sont blasés. « Quand la vue d’un  strip-tease vous fait dire : quelle bêtise, il reste encore un truc qui n’est jamais caduc pour voir la vie en rose : une bonne paire de claques dans la gueule, un direct au creux de l’estomac. » Efficacité garantie : « C’est bien plus bath que le foie gras en terrine, car c’est moins cher et ça n’alourdit pas. » La chanson se termine par une scène de ménage ou par un psychodrame : « Une bonne paire de claques dans la gueule, et ça me consolera, chérie, des soirées où tu manoeuvrais le rouleau à pâtisserie. Tiens, salope ! »

 

 

 

 

 

 

En 1973, Yves Simon sur rendre à Boris Vian un hommage émouvant sur son album « Au pays des merveilles de Juliette ». « Les gauloises bleues » est une évocation délicate de la jeunesse d’Yves Simon, un peu bohême. « On fumait des gauloises bleues qu’on coupait souvent en deux. Les beaux jours ! Les petites femmes de Paris montaient sur nos balcons voir si les fleurs du mal  poussaient encore en cette saison. » L’utopie était au pouvoir : « Jefferson Airplane s’installait à la présidence car les anciens rois du monde venaient d’interdire la danse. » Dans les rêveries du chanteur, Boris Vian rejoint Michel Polnareff : « Boris inventait le jazz tous les soirs au Bal des Lazes. Les beaux jours ! Et sa trompinette mettait le feu aux lampions. » Les beaux jours rejoignent alors L’écume des jours…

 

 

 

Jérôme Pintoux

 

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