vendredi 26 octobre 2012

Bowie : Space Oddity (les 40 ans).


Le Major Tom a déjà 40 ans. Mais il ne fait pas vraiment son âge ?

En fait, pour être tout à fait honnête, « Space Oddity », on ne l’a connu en France qu’en 1972, pas avant. Il a fallu attendre le formidable succès d’ « Hunky Dory » et de « Ziggy Stardust » pour qu’EMI consente à rééditer et à exporter les premières œuvres de l’extra-terrestre poil de carotte.

« Space Oddity » vient d’être remasterisé avec soin, ce qui permet d’apprécier les guitares sèches et les basses. On a même l’impression que l’album s’est bonifié avec le temps.

En 1969, l'espace semblait plus étrange que la Terre. C’était l’année de Neil Armstrong et de la mission lunaire Apollo 11. Le Major Tom lui aussi avait pris son envol. On se souvient de son dialogue avec les techniciens de la Nasa (« Ground control to Major Tom ») et du compte à rebours annonçant le décollage. Le Major voguait dans sa boîte de conserve, une sorte de « Tin Machine » avant l’heure. Le nouvel Ulysse se déconnectait, et la Terre en perdait le contrôle : « Can you hear me, Major Tom ? » Mais le cosmonaute planait bien loin de toutes ces contigences. On apprendra plus tard que le Major était un junkie. C’est ce que confiera Bowie dans « Ashes To Ashes », le requiem New Wave qui enterrera les années 70.

Dans son autobiographie, le producteur Tony Visconti a parfois la dent dure : « David avait enregistré « Space Oddity » avec Gus Dudgeon. A l’époque, j’ai estimé que c’était un peu facile de capitaliser sur les premiers pas de l’homme sur la Lune, et que la voix de David empruntait trop à John Lennon et Paul Simon. » Rick Wakeman est au clavier (au Mellotron, exactement), et c’est Herbie Flowers qui tient la basse.

« Unwashed And Somewhat Slightly Dazed » nous rappelle qu’en 1969 on était aussi en plein british blues, mais ce long morceau bluesy tombe parfois dans la complaisance. L’ensemble traîne en longueur, et malgré un bon emploi de l’harmonica, ce n’est pas une des plus grandes réussites du petit maître.

Il y avait aussi des envolées sentimentales, « Janine », ou la touchante « Letter to Hermione », une chanson épistolaire pleine de tendresse. David Bowie y parlait de ses rêves et d’un amour désespéré. Hermione en aimait un autre. Le chanteur en était triste, sans aigreur, sans amertume. C’est la vie…

« Cygnet Committee » est un long morceau ambitieux. Cependant, avec quarante ans de recul, il peut sembler anecdotique.

« Occasional Dream » évoque un rêve qui se produit de temps en temps. C’est peut-être un songe obsédant. On n’en saura pas plus.

Il y avait aussi un Bowie Flower Power. La nostalgie hippie affleurait sur “Memory of A Free Festival” : “The Children of the summer’s end / Gathered in the dampened grass, / We played our songs, / And felt the London sky / Resting on our hands, / It was God’s land, / It was ragged and naïve / It was Heaven.” “Enfants de la fin de l’été / Rassemblés dans l’herbe mouillée, / Nous jouions nos chansons, / Et le ciel de Londres / Se posait sur nos mains, / C’était une terre divine, / Nous étions naïfs et couverts de haillons, / C’était le Paradis. » Tony Visconti se souvient de l’enregistrement de quelques tracks pour la BBC : « Memory Of A Free Festival » est une des chansons que nous avons ratées ce soir-là. Bowie a toujours eu du mal à jouer de l’orgue et à chanter le début de ce morceau, mais cette fois-là nous avons touché le fond. » Mais on lit plus loin : « Je considère que la seconde version de « Memory Of A Free Festival » est un disque merveilleux, précurseur de tout ce que j’ai enregistré de bien avec Bowie. » On trouvera cette deuxième mouture sur le disque bonus, avec le synthé Moog programmé par Chris Thomas, Ralph Mace aux claviers, John Cambridge à la batterie et Mick Ronson à la guitare. Plus une troisième tentative, « alternate album mix », produite par Tony Visconti, enregistrée par Ken Scott, Malcolm Toft et Barry Shefield, un mixage inédit un peu bordélique qui dure un peu trop longtemps. Pour ma part je préfère la version de l’album, avec cet orgue au son d’harmonium, et toute cette spontanéité, la joie de ces années-là. David Bowie y révèle à quel point il est génial, comme il a su capter l’Epoque. Le final rappelle « Hey Jude » des Beatles, le Jefferson Airplane dans ses meilleurs moments, ou peut-être « Romany Soup » de Tyrannosaurus Rex, avec cette sorte de mantra occidental indéfiniment répété : « The Sun Machine is coming down, / And we’re gonna have a party », ce qui fait songer aux injonctions SF de Roger Waters sur « S.O.S » en 1968 : « Set The Controls For The Heart Of The Sun. »

« Memory Of A Free Festival », c’est l’hymne hippie par excellence, sans la niaiserie des Flower Pot Men, sans le racolage un peu honteux de « Hair », mais avec toute la Haute Magie de l’Epoque, ce plaisir qu’avaient les gens à vivre ensemble. Pas un Age d’Or mais une période cool, ce qui est bien mieux. Et la voix de Bowie qui revient tout à la fin, naïve et sereine ! « Le Vaisseau spatial du Soleil se couche à l’horizon / Et nous allons faire la fête »… Cette remasterisation est exceptionnelle et mérite largement cinq étoiles !

 

Sur la deuxième galette, on trouve plusieurs démos, celle de « Space Oddity » (inédite, paraît-il), avec déjà des bruits de science-fiction, des idées d’arrangement, des pistes à creuser ; celle d’ « Occasional Dream » ; et surtout « The Prettiest Star » où l’on entend Marc Bolan à la guitare, Bolan en sideman de David Bowie. Est-ce encore du Bowie ? Est-ce déjà du T. Rex ? En tout cas, c’est une sorte de manifeste glamour avant la lettre. Ce fut un échec. Bowie n’en vendit que mille exemplaires. Pourtant tout était là, en germe. On a déjà entendu l’une des moutures de ce morceau sur le coffret Marc Bolan, le « long box » regroupant quatre CDs, « 20th Century Star », publié en 2002, que l’on vous recommande chaudement, s’il est encore trouvable. « The Prettiest Star », c’est encore Tony Visconti qui en a eu l’idée. « J’ai pensé que les réunir était une bonne idée parce que je savais que Marc aimait se retrouver dans la peau d’un guitariste lead. »

« Ragazzo Solo, Ragazza Sola » (full length stereo version), c'est « Space Oddity » en italien (« Garçon Seul, Fille Seule »). Nous voilà loin de Neil Armstrong... Mais le vrai sujet de la chanson, n’est-ce pas la solitude, plutôt que la conquête de l’espace ? Le silence éternel des espaces infinis effraie le petit rouquin. Bowie chante en roulant le « r », en grasseyant, ça fait bizarre... ça doit être le Berlusconi mix...

Voilà donc un double CD exhaustif qui regroupe vraiment tout ce que Bowie a fait à l’époque, démos, B-Sides, lives enregistrés pour la BBC (« Janine »), alternate mix, versions longues. Il y a à boire et à manger sur ce second disque, un peu fourre-tout, inégal, comme les rééditions Deluxe des premiers The Cure, par exemple.

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