mercredi 12 décembre 2012

La Mort nous a ravi Shankar : all things must pass


Ravi Shankar. Raga Mala. Ma vie en musique (éditions intervalles) **

Ravi Shankar nous parle de son enfance à Bénarès, de son initiation au sitar. Mais le livre démarre vraiment quand le musicien évoque sa rencontre avec George Harrison, the quiet Beatle. Ravi Shankar était le guru de George, son maître spirituel et son ami. En d’autres temps, on aurait dit son mentor. Le mot « guru » signifie « chasseur d’obscurité ».

C’est la réédition d’un ouvrage paru en Angleterre en 1997, revu, mis à jour et traduit pour la première fois en français en 2010. Dans son avant-propos de 1997, George dit tout le bien qu’il pense de Shankar, tout ce qu’il lui doit, et le décrit comme un homme moderne : « Si je n’avais pas connu Ravi, je serais devenu un vieux grincheux ennuyeux. Dès le début de notre relation, j’ai apprécié le fait que Ravi, bien qu’étant un grand musicien classique, était très drôle. Il se tenait au courant de ce qui se passait dans le monde, il savait quels livres, films ou pièces de théâtre étaient à l’affiche. » Il insiste aussi sur leur complicité : « Je l’ai toujours considéré comme un guru, une figure paternelle, mais aussi et principalement comme un ami parce que, la plupart du temps, nous faisons les fous ensemble. »

Ravi est né à Bénarès dans une Inde en dehors du temps. A part les autos, tout y était vieux, les temples, les gradins descendant vers le fleuve sacré. Il est devenu musicien et s’est fixé de nobles objectifs : « Mon but a toujours été d’emmener le public très loin avec ma musique, à l’intérieur de lui-même, comme on le fait en méditation ». Il trace de George un portrait élogieux : « Je sentais que George avait une belle âme et je lui reconnus une qualité à laquelle j’attache énormément d’importance, l’humilité, et qui, dans notre culture, est considérée comme la qualité principale. » Harrison avait côtoyé bien des célébrités, des Premiers ministres, des membres de la famille royale, mais, avant Ravi, il n’avait jamais rencontré quelqu’un qui l’impressionnait réellement.

George se rendit en Inde. Il vouait un intérêt analogue à la musique indienne et aux yogis de l’Himalaya. Les yogis sont des personnes qui ont acquis, paraît-il, des pouvoirs spirituels extraordinaires par le yoga. George n’avait que vingt-deux ans, mais il est resté fidèle à ces disciplines jusqu’à la fin. Au départ, il a eu peur d’être rebuté par l’Inde, dérouté par les odeurs, la saleté, la pauvreté. Mais il avait la chance d’avoir Ravi comme ami, ce qui changeait la donne.

Ravi devint une rock star dès 1967. Il ne comprenait pas la jeunesse occidentale, qui mélangeait tout, la fascination pour l’Inde mais aussi pour la drogue, « l’incitation à se droguer de la part de Timothy Leary, Allen Ginsberg et Alan Watts (les trois grands gurus de la drogue)… »  En juin 1967, Ravi joue au festival pop de Monterey, mais très peu de groupes trouvent grâce à ses yeux : il n’aime pas les voix de faussets. Bizarrement, ce qu’il apprécie, c’est Simon and Garfunkel (« Garfunkel avait une voix angélique »), the Mamas and the Papas, Donovan et Joan Baez (« En plus d’un physique saisissant et d’une belle personnalité, elle avait une voix veloutée charmante »). Shankar semble mal connaître le répertoire des Beatles : il ne cite que trois chansons (« Norwegian Wood » avec ce sitar utilisé d’une façon peu orthodoxe), dont deux signées Harrison (« Here Comes the Sun »), et encore l’une d’elles n’est pas une composition des Beatles mais un hit de George sur son triple album, « My Sweet Lord ». Ce qui scandalise Ravi Shankar, ce sont les prestations d’Hendrix et des Who qui bousillent leurs instruments de musique à la fin du show. « Hendrix versa de l’essence sur sa guitare et y mit le feu. C’était un acte sacrilège et j’étais si en colère que je faillis me lever et m’en aller. » Mais, depuis, de l’eau a coulé sous les ponts de Bénarès et d’ailleurs. All things must pass…

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